On le sait, la quintessence du savoir-vivre, c’est savoir mourir. Non seulement les rois n’échappent pas à cette règle, mais ils y sont sans doute davantage soumis que les simples mortels. C’est ce qui ressort de ce livre à la fois passionnant, riche et délicieux que dirige Patrice Gueniffey. Ayant rassemblé les meilleurs biographes, cet élève de François Furet nous permet de suivre les lignes de permanences et de ruptures dans cet exercice particulièrement difficile qu’est la mort pour un souverain.
Les trépas sont certes différents : maladies, assassinats, et même exécution. Le passage vers l’au-delà prend des formes très diverses, longues ou rapides, douloureuses ou apaisées. Mais ce qui rassemble ces morts royales, c’est l’identique souci d’assurer le passage de règne, pour que la formule « Le roi est mort, vivre le roi ! » ne soit pas qu’une simple figure de style mais bel et bien le gage de la continuité dynastique et étatique : « Je m’en vais, dit Louis XIV, mais l’Etat demeurera toujours. »
Ensuite, le roi très chrétien doit mourir en paix avec l’Eglise, dans le respect des rites qu’elle impose et dans le souci du salut de son âme. La confession, le regret des péchés, la pensée uniquement tournée vers Dieu sont nécessaires pour que le souverain, dans son dernier acte terrestre, offre à son peuple un exemple d’une mort irréprochable. La fin de Louis XV est à cet égard très révélatrice, et le style magnifique de Simone Bertière fait de la lecture de sa contribution un véritable plaisir.
Cela dit, chaque individu garde sa spécificité y compris face à au grand départ. Philippe Auguste met ses comptes au clair, Saint Louis évoque la Jérusalem céleste avant que son corps ne soit coupé en morceaux, Charles V part entouré des représentants des trois états, Louis XI retiré des regards du monde, François Ier après une longue agonie, Henri II dans la souffrance des blessures, les deux Henri poignardés par des temps de violence, Louis XIII tourmenté par la future régence, Louis XIV en représentation jusqu’au bout, Louis XV dans la puanteur de la vérole et la contrition, Louis XVI dans la dignité du martyr, Napoléon au bout du monde et sans poison, Louis XVIII dans la décrépitude physique, Charles X en dessous de tout jusqu’au bout, Louis-Philippe dans la tristesse de ce qu’aurait pu être son règne, Napoléon III rongé par un mal qui lui coûta la victoire.
Dans son introduction très stimulante, Patrice Guennifey remarque que les monarchies actuelles sont fortes de « l’état de décrépitude avancée où se trouvent la plupart des républiques ». L’actualité nous le confirme tous les jours. Si les amours des présidents n’ont certes rien à envier aux aventures galantes des rois qui les ont précédé, force est de constater qu’aucun souverain ne connut l’avilissante fin de Félix Faure.
On meurt dignement chez les rois.
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frederic le moal
Les derniers jours des rois, sous la direction de Patrice Gueniffey, Perrin-Le Figaro Histoire, janvier 2014, 359 p. — 19,90 €