Quand il faut fouiller dans le passé…
Avec ce nouveau roman, Eva García Sáenz de Urturi propose le troisième volet de son cycle consacré à la Ville blanche et à Unai, ce profileur surnommé Kraken. Les lecteurs ont pu faire sa connaissance dans Le Silence de la ville blanche (Fleuve Noir-2020, Pocket-2022) et le suivre dans Les Rites de l’eau (Fleuve Noir-2022, Pocket-2023).
En septembre 2019, Unai assiste, au palais de Villa Suso, à un lancement du roman historique dont toute la ville de Vitoria parle. Il est en compagnie de Deba, sa fille de deux ans et de son grand-père, celui qui l’a élevé étant orphelin. Ils retrouvent Esti et la mère d’Alba. La soirée est très courue car l’auteur qui a signé le roman est un inconnu. Et, il le reste à l’issue de la soirée car il ne s’est pas présenté au grand dam de son éditeur. C’est un archéologue qui a meublé en présentant le contenu, insistant sur le fait qu’ils se trouvent sur les lieux même décrits dans le livre, où un personnage meurt après avoir ingéré de la cantharide.
Un homme fait irruption réclamant un médecin car il a découvert une personne inanimée dans les toilettes. Unai, en tant que policier, se précipité avec Esti. Le défunt n’est autre que le fondateur d’un empire de prêt-à-porter empoisonné… à la cantharide.
Ce meurtre n’arrange pas Unai qui enquête déjà, depuis deux semaines, sur la disparition de deux sœurs de 17 et 12 ans. Quand ils les trouvent enfin, elles ont subi le même traitement décrit dans le roman, mais avant que celui-ci soit publié ! Les policiers ne sont pas au bout de leur surprise quand Esti découvre un garçon victime du même châtiment médiéval appelé la peine du sac, si bien évoqué dans Les Seigneurs du temps…
La romancière développe deux traques, l’une en 2019, l’autre en 1192. Et elles sont étrangement ressemblantes car elles se déroulent dans les mêmes lieux, avec les mêmes modalités. Elle installe un récit étoffé sur le passé de ce qui deviendra Vitoria avec toute une communauté réunie dans et autour du château. Elle décrit les relations des uns et des autres, selon leurs statuts, leurs rangs. Elle détaille les amours, les haines, les malheurs liés à la famine, aux maladies, aux combats, la misère, la guerre, les crimes et les châtiments appliqués aux coupables.
Avec un talent remarquable, elle retranscrit l’essentiel de ces éléments dans le présent. Jouant ainsi avec les deux époques, elle propose une intrigue passionnante où la tension s’installe très vite pour ne plus retomber.
Autour du héros, elle instruit tout une série de difficultés, tant personnelles que professionnelles, mettant en avant des secrets et les non-dits qu’ils suscitent avec leurs conséquences. Et la ville de Vitoria fait partie intégrante de l’intrigue comme un personnage central.
Entrecroisant les deux récits, la romancière donne une partie historique magnifique, structurée à partir des meilleures sources et une enquête bien difficile à tous les niveaux de Kraken et de son équipe.
Deux cartes illustrent la configuration du bourg en 1192 et de la ville en 2019 avec, en complément, la traduction des noms de rues et de lieux. Avec ce nouveau livre, Eva García Sáenz de Urturi fonde un carrefour entre ses deux univers littéraires que sont La Trilogie de la Ville blanche et La Saga de los Longevos. Elle tisse des liens subtils entre les deux, reliant ainsi des protagonistes autour de la ville de Vitoria-Gasteiz.
C’est un texte surprenant, difficile à lâcher tant il est addictif.
serge perraud
Eva García Sáenz de Urturi, Un piège de papier (Los Señores del Tiempo), traduit de l’espagnol (Espagne) par Judith Vernant, Fleuve noir, coll. “Thrillers”, février 2024, 544 p. — 23,90 €.