Tout ici est riche, subtil, profond et juste. Ce roman est celui du destin d‘une femme agrégée et lettrée qui a, entre autres, assuré l’éditions des romans de Romain Gary à la Pléiade à la suite de sa thèse sur Gracq. De nombreux ouvrages qui se couronnent par ce nouveau roman.
Après son éducation et son mariage avec Monsieur de Rosemonde, elle a appris à se servir de sa raison « pour tâcher de venir à bout des écarts du cœur et des fantaisies de l’imagination. »
Pour la suite de sa propre histoire, l’auteure apprend de sa vie, de ses guides mais aussi de la présence de la mort pour ce qui est d’elle comme de la vie, même si elle ne s’est jamais résolue aux vues de la religion, « ni [n’a pu] concevoir de bonne foi comment la vie de mon âme pourrait se poursuivre privée de ce qui nourrit son sentiment », écrit-elle.
Dans sa longue existence, elle a vu celles et ceux qui ont disparu mais sans « les abandonner à une absence sans recours. A travers « la persistance pâlie d’un souvenir sans pareil », elle a su sauver son système.
Elle le juge parfois infirme ou hérétique, mais elle s’accorde au destin afin de trouver le moyen de vivre « sans les objets de mon affection, puisque décidément l’ordonnance des choses, qu’il m’arrive de nommer la Providence, a voulu que l’énergie aveugle de la vie l’emportât toujours chez moi sur le cruel chagrin de leur perte. »
Un tour d’esprit mélancolique et songe-creux se tire de ce qui fut et donne à ce roman une puissance d’être et une force d’opiniâtreté qui emporte le texte d’un temps à l’autre pour que le désir puisse vaincre les maux notamment par la grâce de ce qui fut et donne là une dimension de sur-vie.
Emerge donc toujours un personnage féminin qui perdure. Elle en ignore le contexte tout en conservant sa trace fantomatique entre des sortes d’idoles pour ce roman à religion païenne.
L’auteure en reste une prêtresse libératrice, gorgeant les clés de voûtes de sa nouvelle cathédrale. Condensations et déplacements créent une pluie, un ruissellement dont le cercle ne cesse de s’agrandir. Mais une forme d’espérance règne car l’écriture se savoure. Elle permet de sauver dans l’écart et aussi dans le sein d’une précieuse intimité.
jean-paul gavard-perret
Marie-Anne Toulouse , Histoire de Madame Rosemonde, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2024, 176 p. — 25,00 €.