Reprenant des mots chers à Blanchot, Jean-Louis Chrétien explore selon une topique chrétienne — qui passe de la Bible aux docteurs de l’église (de Saint Augustin, sainte Thérèse d’Avila à Origène, Dante et Kant et de Rousseau jusqu’à Baudelaire et Freud) — ce que Bachelard nomme « la maison de l’être ». Elle se décline ici en chambre du cœur, temple de l’esprit, bunker de l’individualisme. Le livre prouve que l’identité se construit dans l’imaginaire individuel et collectif selon une architecture qui rapproche l’intérieur et l’extérieur. S’approprier mentalement un lieu pour l’habiter demeurerait donc l’acte fondamental de l’homme afin de se situer dans son intimité. Les divers schèmes des « aîtres » (âtres de l’être) sont analysés de manière parfaitement claire. L’auteur les ausculte en évitant l’abscons et en montrant comment ils ont glissé d’un horizon mystique vers une confrontation plus terrestre de l’homme avec lui-même.
Que l’histoire de la philosophie, de l’art et de la littérature soit considérée comme l’accession à soi par l’imaginaire de la construction occulte sans doute toute une partie « sexuelle » du fondement humain (même si Freud est appelé à la rescousse). Le livre reste donc plus du côté du pensable que de l’impensé et des profondeurs cachées. La thématique de la « maison » illustre comment l’imaginaire clôt par des indices visuels et leurs érections la construction de l’intime. Il fait aussi de l’être un Narcisse mélancolique qui interroge la généalogie de ses fantômes. Reste néanmoins ouverte et donc non résolue la descente de l’être (comparable à l’Igitur enfant de Mallarmé) dans « le tombeau des siens » et la nuit sexuelle qu’il contient. Il garde ici son retrait que Mallarmé nomma de la manière suivante : « secret inabordable. On n’en a pas l’idée, où à l’état de lueur seulement, le temps d’en montrer la défaite ».
jean-paul gavard-perret
Jean-Louis Chrétien, L’espace intérieur, Editions de Minuit, Paris, 2014, 272 p. - 25,00 €.