Nina Živančević, d’origine slave, propose un périple inoubliable à travers plusieurs pays et continents. D’un ’aéroport à l’autre et en divers entre temps où peuvent se partager de véritables sentiments d’Absolu, de Riyad à Cochin, de Keralayeem, pour entrer en méditation, à Alleppey dont le temple de Shiva propose de facto les rêves karmiques de l’auteure, se succèdent ensuite Keralayeem, Djeddah, Le Caire, Louxor , Assouan, Rome, Venise, Londres, Lima.
Les déplacements deviennent l’initiation d’une narration poétique, époustouflante. Richesses en descriptions de découvertes souvent ignorées, mais surtout puissances en réflexions mêlent l’éphémère des lieux et l’intemporel des âmes. Elles tissent un lien intime entre le passé, la mémoire et le rêve.
L’auteure a su définir parfaitement son voyage extérieur et intérieur : « le seul paysage auquel j’appartenais vraiment, le pays où vivait ma véritable famille – celle des poètes, écrivains, philosophes et artistes. Et peu importe où je vis, du moment que ces personnes font directement ou indirectement partie de moi. ».
Les sages et leurs écrits (Védas en particulier) ont guidé son expérience transcendantale et géographique. Sa pensée (entre autres sur le “barbarogénie” que cherchèrent autant Micić que Henri Michaux) reste dépendante de tout esprit colonisateur. Michaux mais aussi Segalen et Artaud (sans oublier encore bien d’autres comme Moravia ou Pasolini) sont des modèles de fameux et précieux “barbares en Asie” et ailleurs moins discutables que discutants.
L’observation de l’auteure dépasse les voyages imaginaires pour nous confronter à ce qui advient par le Multiple l’Un. Nina Živančević décrit dans sa gigantesque encyclopédie du savoir les croyants comme les divisés de partout là où le sentiment d’altérité innerve cette écriture précise, élégante, précieuse et habitée. Elle se confronte à tout – même par sa culture jusqu’aux mangeurs des Dieux. Mais restent beaucoup plus de contemplatifs au sens de la spiritualité extrême — même si parfois, chez certains, elle se mêle à un suprême talent pour la comptabilité…
L’auteure garde le don de l’analyse et du jugement modulé dans sa langue, qu’elle a pu se bâtir de littératures multiples osant des avant-gardistes et aussi des textes de tradition hindi, musulmane chinoise, confucéenne, japonaise et taoïste et ailleurs. Oeuvrant au « désembuage » comme à la « purification de l’esprit », elle est clairvoyante pour décrire le monde et la combinaison de ces mouvements dans toute l’histoire et les cultures de pays issus d’une compréhension mystique de la vie et de la croyance. Elle agrège des anecdotes où d’étranges habitudes se mirent et se mettent à souffler.
Tous lectrices et lecteurs sont unanimes envers une telle femme capable de brasser les idéologies des temps comme de la politique. Y apparaissent les femmes elles-mêmes. Devenant parfois victimes, avec un peu de chance elles se transforment en lionnes et sœurs vraies — faites de la réalité que l’auteure a habitée en ses périples, séjournant dans bien des chambres d’hôtel de diverses qualités.
C’est rassurant avec une telle guide capable de créer un récit anthropomorphique étonnant.
jean-paul gavard-perret
Nina Živančević, Smrti (Ce dont on se souvient), traduit par Raphaël Baudrimont, Éditions Constellations, 2024 — 20,00 €.