Patrick Wateau, Traversaire

Ecarts

Ce livre réclame la plus abso­lue ren­contre à cause des traces. Géné­ra­le­ment, elles indiquent des pas­sages obli­gés et tout lan­gage doit accep­ter leur jonc­tion. Mais ici sur­git le risque que l’inflexion des détours du lan­gage incite des dif­fi­cul­tés sub­tiles à maî­tri­ser. Wateau trône en maitre là où d’une cer­taine manière les effa­cés des images se conservent.
Mais il y a plus :  dans cette poé­sie par­faite, le oui du non, le non du ou, l’auteur l’apprivoise mais  aussi et à savoir l’entre-deux.

Essayant de cou­cher dans une forme de deuil que le lan­gage peut impo­ser, Wateau atteint une syn­taxe para­doxale de lever du sens. Les oppo­sés s’assemblent, mais c’est bien cela : demeurent l’ensemble et le séparé afin qu’une jonc­tion s’impose. Il n’appartient pas de rem­plir ce creux mais de le par­ta­ger. La poé­sie à la fois parle et s’efface, mais c’est sous la com­plexité qui parle plein et délié.

C’était sans comp­ter ce qui s’efface, mais aussi abs­traire ce que le sens com­mun habi­tuel­le­ment digère faci­le­ment. Car si « un oubli remplacé/ ne prend pas tou­jours la forme d’une autre trace”  surgit le seuil, comme un signe du lan­gage. Il sait ce que nous devons attendre et com­prendre en une telle adresse, et envoi.
A le pro­non­cer, il n’y a pas d’impudence de la part du poète, ni d’impudeur. L’aridité du désert du sens s’irrigue. Au lec­teur d’en accep­ter l’énigme. Les mots cherchent ce qui ignore tout autant que ce qui se dévoile. La poé­sie n’hésite plus à prendre des risques. Le lan­gage qui géné­ra­le­ment engouffre sim­ple­ment, peut se reprendre dès qu’elle est don­née par cette parole engagée.

“Je tra­verse, j’ai été tra­versé”, dit en sub­stance le poète afin de quit­ter le jamais fini. L’espace poé­tique détruit l’illusion. Mais l’idéologie est rem­pla­cée par la gram­maire élé­men­taire de la des­truc­tion afin de renou­ve­ler l’intelligence et la sen­si­bi­lité selon un modèle presque révo­lu­tion­naire. Il y a là la reli­gion du livre. Parce qu’il faut le voir non comme un camp de concen­tra­tion mais du sens à libé­rer et déli­vrer. L’échange prend la route sans la moindre pos­ture de l’oisiveté. Au contraire.

Certes, ne pas écrire c’est détruire. Le sens s’approche sans le ter­rer. Existe La radi­ca­lité d’une orga­ni­sa­tion propre à l’expérience inté­rieure. Exit donc livre en dehors de lui-même. Des envers se creusent et les « absences se sont mises en mou­ve­ment / pour dis­pa­raitre ». Mais  les varia­tions  imposent la pen­sée que se créent des repères par­fois incon­nus.
Wateau les ouvre en per­çant notre fonc­tion­ne­ment tacite. Dès lors, l’effacement se dis­sipe pour poin­ter les « signes pour mieux coïn­ci­der » et ins­tau­rer dans cette poé­tique du lieu et du vide une manière de reprendre la main et la mise.

Croire ce qui n’est pas parti rede­vient croire en ce qui n’est pas trop loin. Pas en tota­lité. La poé­sie ne veut donc pas par­tir. Au contraire, car elle enva­hit le presque impos­sible. Le presque est impor­tant. Tout y baigne. C’est là que le lec­teur peut com­prendre et vivre. A sa manière, il devient nos­tal­gique de ce qui peut se pas­ser en ce tel « tra­ver­saire ». Elle reste la reprise essen­tielle déga­gée des poncifs.

jean-paul gavard-perret

Patrick Wateau, Tra­ver­saire, avec fron­tis­pice de Pierre-Yves Freund, Edi­tions Pariah, 2024, 15 p. — 18,00 €.

1 Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Chapeau bas, Poésie

One Response to Patrick Wateau, Traversaire

  1. Villeneuve

    Wateau a tout beau et le pas­seur JPGP tout parfait !

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