Ce livre réclame la plus absolue rencontre à cause des traces. Généralement, elles indiquent des passages obligés et tout langage doit accepter leur jonction. Mais ici surgit le risque que l’inflexion des détours du langage incite des difficultés subtiles à maîtriser. Wateau trône en maitre là où d’une certaine manière les effacés des images se conservent.
Mais il y a plus : dans cette poésie parfaite, le oui du non, le non du ou, l’auteur l’apprivoise mais aussi et à savoir l’entre-deux.
Essayant de coucher dans une forme de deuil que le langage peut imposer, Wateau atteint une syntaxe paradoxale de lever du sens. Les opposés s’assemblent, mais c’est bien cela : demeurent l’ensemble et le séparé afin qu’une jonction s’impose. Il n’appartient pas de remplir ce creux mais de le partager. La poésie à la fois parle et s’efface, mais c’est sous la complexité qui parle plein et délié.
C’était sans compter ce qui s’efface, mais aussi abstraire ce que le sens commun habituellement digère facilement. Car si « un oubli remplacé/ ne prend pas toujours la forme d’une autre trace” surgit le seuil, comme un signe du langage. Il sait ce que nous devons attendre et comprendre en une telle adresse, et envoi.
A le prononcer, il n’y a pas d’impudence de la part du poète, ni d’impudeur. L’aridité du désert du sens s’irrigue. Au lecteur d’en accepter l’énigme. Les mots cherchent ce qui ignore tout autant que ce qui se dévoile. La poésie n’hésite plus à prendre des risques. Le langage qui généralement engouffre simplement, peut se reprendre dès qu’elle est donnée par cette parole engagée.
“Je traverse, j’ai été traversé”, dit en substance le poète afin de quitter le jamais fini. L’espace poétique détruit l’illusion. Mais l’idéologie est remplacée par la grammaire élémentaire de la destruction afin de renouveler l’intelligence et la sensibilité selon un modèle presque révolutionnaire. Il y a là la religion du livre. Parce qu’il faut le voir non comme un camp de concentration mais du sens à libérer et délivrer. L’échange prend la route sans la moindre posture de l’oisiveté. Au contraire.
Certes, ne pas écrire c’est détruire. Le sens s’approche sans le terrer. Existe La radicalité d’une organisation propre à l’expérience intérieure. Exit donc livre en dehors de lui-même. Des envers se creusent et les « absences se sont mises en mouvement / pour disparaitre ». Mais les variations imposent la pensée que se créent des repères parfois inconnus.
Wateau les ouvre en perçant notre fonctionnement tacite. Dès lors, l’effacement se dissipe pour pointer les « signes pour mieux coïncider » et instaurer dans cette poétique du lieu et du vide une manière de reprendre la main et la mise.
Croire ce qui n’est pas parti redevient croire en ce qui n’est pas trop loin. Pas en totalité. La poésie ne veut donc pas partir. Au contraire, car elle envahit le presque impossible. Le presque est important. Tout y baigne. C’est là que le lecteur peut comprendre et vivre. A sa manière, il devient nostalgique de ce qui peut se passer en ce tel « traversaire ». Elle reste la reprise essentielle dégagée des poncifs.
jean-paul gavard-perret
Patrick Wateau, Traversaire, avec frontispice de Pierre-Yves Freund, Editions Pariah, 2024, 15 p. — 18,00 €.
Wateau a tout beau et le passeur JPGP tout parfait !