L’histoire ne sert pas à « ne pas refaire les erreurs du passé » comme on ne cesse de nous le répéter mais à comprendre le présent, à en décrypter les subtilités, les zones d’ombre. C’est la démarche de Pierre Serna dans son essai historique et politique sur ce mouvement qu’il définit comme l’extrême centre. L’auteur est historien, membre de l’Institut d’histoire de la Révolution française, lequel joue le rôle de gardien du Temple de la mémoire glorieuse de la Révolution.
D’ailleurs, il ne cache pas son engagement en faveur de ce qu’il appelle « la gauche de transformation sociale », sa condamnation du « poison du pouvoir exécutif », son soutien au mouvement « Nuit debout » et sa haine pour les mouvements souverainistes rabaissés à la fameuse « peste brune », au sempiternel « néo-fascisme » et à du « protomussolinisme ». Bien sûr, on ne peut que regretter de telles expressions parce qu’elles nuisent au caractère scientifique de son travail et nuisent à sa crédibilité.
Car le livre, particulièrement dense, développe une thèse sur laquelle il faut s’arrêter parce qu’elle donne des clés de compréhension du macronisme très utiles. Résumons : Pierre Serna nuance la vision traditionnelle d’une France coupée en deux depuis 1789 entre la gauche et la droite. Il révèle l’existence d’un centre qui n’a rien à voir avec celui du Marais de la Convention. Non, celui-ci est un extrême centre auquel il accole trois caractéristiques : le discours de la modération, le girouettisme et la force du pouvoir exécutif jusqu’à la répression et la dictature.
Son origine plonge dans l’histoire de la vie politique française mais il apparaît vraiment avec la Révolution. Robespierre en a été la première incarnation avec son « régime sécuritaire et liberticide ». Les Thermidoriens avec leur curieuse manière de respecter le résultat des urnes, prennent le relais avant que n’arrive celui qui portera l’extrême centre à son apogée : Napoléon Bonaparte, « l’homme jeune à poigne » dont ce courant aurait toujours besoin.
La thèse n’est pas nouvelle. Fabrice Bouthillon l’a déjà mise en lumière avec son analyse du double centrisme par addition des extrêmes (le fascisme et le nazisme) ou par rejet des extrêmes (de Bonaparte à l’orléanisme). Ni Enragés ni Indulgents, ni bonnet rouge ni talons rouges : tel s’exprime le refus des extrêmes chez ces centristes capables ainsi d’amener vers eux les partisans de l’ordre.
Les phrases de l’auteur à propos des Thermidoriens qui « doivent créer la peur sociale et en retour se poser en défenseurs du bon ordre, du bon sens bourgeois, du calme nécessaire à la conduite des bonnes affaires » ont un curieux et actuel écho.
Cet essai est donc intéressant à plus d’un titre et jette sur le macronisme un regard original, percutant, informé et de gauche. Car, en réalité, Emmanuel Macron, c’est Louis-Philippe avec la main féroce de Thiers. C’est l’expression du libéralisme mais pas celui de Reagan ou de Thatcher, policé par le conservatisme, mais celui qui revient au bercail, à ses origines : la gauche.
Emmanuel Macron est un enfant des Lumières et de leur révolution anthropologique. C’est la raison pour laquelle il s’avère impossible de le classer à droite. Au nom même de son progressisme. Cet extrême-centre cousine de près avec la gauche. De très près.
frederic le moal
Pierre Serna, L’extrême centre ou le poison français, 1789–2019, Champs Vallon, mai 2019, 289 p. — 20,00 €.
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