Collectif, Petite Ceinture — Nouvelles de la périphérie

29 auteurs et un pho­to­graphe pour cein­tu­rer à coups de petites nou­velles por­tées par une image la mythique Petite Cein­ture parisienne

De Mou­loud Akkouche à Domi­nique Syl­vain, en pas­sant par Hugo Mar­san et Stringo Meyer, ce sont pas moins de vingt-neuf auteurs qui ont été ras­sem­blés pour rendre hom­mage à Petite Cein­ture — PC pour les intimes — à par­tir de pho­to­gra­phies prises par Jean Dis­tel. Vingt-neuf plumes et un petit boî­tier pour rendre à ce lieu sa magie par­ti­cu­lière (…) et fixer ainsi, pour un court temps car les lieux dépé­rissent et les vies passent, cette cica­trice avant que la peau de la ville et les impé­ra­tifs de tous ordres ne l’effacent.
Entre une magni­fique pré­face et une “Notice his­to­rique” tout empreinte de cet humour atten­dri que l’on ne témoigne qu’aux lieux aimés et regret­teés, vingt-neuf auteurs, donc, se suc­cèdent par ordre alpha­bé­tique, tirant à chaque fois d’une photo en noir et blanc le flux vital de leur texte.

Malgré la contrainte thé­ma­tique par­ta­gée par tous, les textes résul­tant de la pro­po­si­tion de l’éditeur sont d’une extrême diver­sité. L’on a certes des “nou­velles” au sens le plus propre du terme — de vrais bijoux du genre… — mais aussi des sortes de poèmes en prose, des anec­dotes à la tenue bien pré­caire… on entend même la voix d’un chat rôdeur et d’une chienne folâtre. Cer­tains textes paraissent pres­su­rés par la contrainte au point que leur per­ti­nence nar­ra­tive devient bien impro­bable, d’autres semblent tirer vers la poé­sie mais les alli­té­ra­tions et les asso­nances y sont si appuyées qu’elles sont comme pas­sées au sur­li­gneur fluo… Qu’il s’agisse d’évoquer la vie mys­té­rieuse d’un ancien anar, l’affection d’une vieille dame pour un lapin, une his­toire d’amour sur la pente desen­dante ou encore une moby­lette volée quelque trente ans aupa­ra­vant cha­cun s’est plié au sujet imposé avec une indé­niable doci­lité, et par-delà la dis­pa­rité des nou­velles, on notera qu’elles sont géné­ra­le­ment tour­nées vers le passé, impré­gnées aussi d’une nos­tal­gie plus ou moins pro­non­cée. Mais l’on sait à quel type de rêve­rie invite toute gare, toute voie fer­rée — a for­tiori quand l’une et l’autre sont désaf­fec­tées, avec juste ce qu’il faut d’obscurité et de des­sins sau­vages pour y décli­ner rêves inter­dits et jeux clandestins…

J’ai retrouvé avec un infini plai­sir des plumes amies — Bri­gitte Aubon­net dans “Graf­fi­teur” et Hugo Mar­san dans “Voie sans iss­sue” - et la petite musique sin­gu­lière qui chez elles m’avait séduite en d’autres pages. En ce qui regarde les autres auteurs du recueil, je ne puis pas dire que je les aurai décou­verts tant les textes sont courts — beau­coup n’excèdent pas une page et demie. Cette briè­veté m’a tenue à l’écart de la plu­part des nou­velles, dont j’ai eu du mal à sur­mon­ter les étran­ge­tés ou ce qui, en elles, me déran­geait. Quelques-unes m’ont exas­pé­rée, je suis demeu­rée insen­sible à l’univers ou au pro­pos de cer­taines et pense même n’avoir rien com­pris à une ou deux d’entre elles. À aucun moment je n’ai pu dépas­ser la super­fi­cia­lité d’une lec­ture sub­jec­tive, ni les appré­cia­tions épi­der­miques affé­rentes — autant avouer que je manque, ici, à l’obligation mini­male du chro­ni­queur qui est de s’astreindre à un regard dis­tan­cié, ana­ly­tique et dépouillé de toute affec­ti­vité para­site. À ce point de renon­ce­ment à l’impartialité, je puis bien aller jusqu’à dire tout haut mon coup de cœur pour “Intoxi­ca­tion”, la nou­velle de Domi­nique Syl­vain qui clôt le recueil : l’auteur a su y main­te­nir un équi­libre entre l’implicite et l’explicite, une ten­sion nar­ra­tive propre aux bonnes his­toires à sus­pense ; quant au dénoue­ment, il est digne des meilleures “nou­velles à chute”.

Petite Cein­ture res­semble à un car­net d’échantillons, riche certes mais qui ne per­met pas de s’acclimater aux textes pro­po­sés — sauf à avoir l’âme zap­peuse et habi­tuée aux chan­ge­ments cli­ma­tiques incees­sants… Les textes sont trop courts pour lais­ser une impres­sion durable — chaque auteur se pose autour d’une photo en deux trois pages mais sans par­ve­nir vrai­ment à s’imposer au lec­teur — et la forme col­lec­tive du recueil implique une diver­sité sty­lis­tique trop grande que ne com­pense pas l’homogénéité assu­rée par le thème et les pho­to­gra­phies. Pour­tant, toutes ramènent à la sur­face des pages un lam­beau de cette Petite Cein­ture à l’abandon. Toutes parlent d’un passé qui n’a pas tout à fait rendu les armes, et d’un pré­sent écaillé, sor­dide, en ruine. Et toutes, par leur cadrage par­fois chao­tique et leurs arrière-plans noyés dans le blanc bru­meux de la sur­ex­po­si­tion, imprègnent le recueil de cette nos­tal­gie pré­gnante que relaient fort bien les textes. S’instaure ainsi une rela­tion texte / image qui dépasse la simple illus­tra­tion réciproque.

Si l’union texte / image fonc­tionne plu­tôt bien, cela n’enlève rien à la gêne que peut engen­drer la dis­pa­rité des nou­velles, d’autant que la lec­ture est ren­due plus dif­fi­cile encore par de nom­breuses coquilles - omis­sion récur­rente de cer­tains traits d’union, les expres­sions “en tous cas” et “de toutes façons” ortho­gra­phiées au plu­riel alors que l’usage pres­crit le sin­gu­lier… etc. De plus, on ne peut s’empêcher de pen­ser que, déci­dé­ment, le concept de la col­lec­tion “En marge” — Un lieu, une photo, un auteur, une nou­velle — rap­pelle un peu trop celui de “Noir Urbain”, la col­lec­tion créée par les édi­tions Autre­ment et dont Julien Védrenne a chro­ni­qué quelques volumes ici même (Éva­sion rue Quin­cam­poix ; Venin, place du Mau­caillou ; Les Pas­seurs de l’Étoile d’or…)

Nonobs­tant, je garde au cœur l’envie de défendre les édi­tions Arca­dia, réso­lu­ment enga­gées dans un “régio­na­lisme pari­sien” mar­qué au sceau d’un véri­table amour de la Capi­tale et dont les publi­ca­tions offrent une mul­ti­tude de regards sur Paris que je vous invite à décou­vrir très vite, par exemple en visi­tant leur site. puis en ache­tant leurs livres.

Pho­to­gra­phies :
Jean Dis­tel
Avec des textes de :
Mou­loud Akkouche, Manuel Alcan­tara, Alain André, Gilles Asca­ride, Bri­gitte Aubon­net, José-Louis Boc­quet, Claude Cha­naud, Didier Dae­nin­ckx, Patrick Dela­hais, Régine Detam­bel, Fré­dé­ric Fajar­die, Didier Gou­pil, Syl­vie Gra­cia, Pas­cal Hérault, Syl­vie Huguet, Hugo Mar­san, Stringo Meyer, Fran­cis Mizio, Ara­nud de Mont­joye, Cécile Oum­hani, Juliette Pey­ret, Jean-Michel Pla­tier, Chan­tal Por­tillo, Ber­nard Pou­chèle, Jean-Bernard Pouy, Fran­çoise Rach­muhl, Thierry Renard, Valère Sta­ra­selski, Domi­nique Sylvain.

isa­belle roche

   
 

Col­lec­tif, Petite Cein­ture — Nou­velles de la péri­phé­rie (avec des pho­tos de Jean Dis­tel), édi­tions Arca­dia coll. “En marge”, mars 2006, 224 p. — 15,00 €.

 
     
 

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