Charles-Eloi Vial, Marie-Antoinette

Marie-Antoinette, pri­son­nière d’elle-même

Encore une bio­gra­phie de Marie-Antoinette, pourrait-on dire! Oui, mais quand celle-ci est écrite par l’un des meilleurs his­to­riens actuels, on ne peut que s’y pré­ci­pi­ter. Et le lec­teur ne sera pas déçu. Il retrou­vera au fil des pages l’élégance de la plume de Charles-Eloi Vial, la richesse des sources, sa maî­trise de la psy­cho­lo­gie des per­son­nages, la pro­fon­deur de ses ana­lyses des évè­ne­ments, y com­pris sur le long terme.
De ce tra­vail aussi dense qu’accessible, il res­sort un por­trait tout en nuances de la mal­heu­reuse reine exé­cu­tée par une Révo­lu­tion dic­ta­to­riale qui avait besoin d’un grand pro­cès pour mieux anéan­tir le sym­bole fémi­nin de l’Ancien Régime et asseoir son pouvoir.

Tout d’abord, l’auteur met en lumière plu­sieurs Marie-Antoinette, là où la mémoire col­lec­tive n’en retient qu’une seule. A la jeune dau­phine et reine écer­ve­lée, dépen­sière et adepte des fêtes, suc­céda une femme plus mûre, qui cessa ses allées et venues à l’Opéra de Paris et ses soi­rées mon­daines pour mieux se ren­fer­mer à Ver­sailles, et plus exac­te­ment au Petit Tri­anon où elle ne joua jamais à la ber­gère.
“Une mère atten­tion­née, certes, mais par inter­mit­tence”, comme l’écrit Charles-Eloi Vial. Puis arriva la femme plus poli­tique, dres­sée devant la tem­pête révo­lu­tion­naire qui l’emporta, elle et les siens. Pour­tant, jamais elle ne put se défaire de “sa répu­ta­tion de femme fri­vole, dépen­sière et influençable.”

Ensuite, de l’analyse faite de son union avec Louis XVI res­sort une image très com­plexe. Rare­ment couple fut plus mal assorti, tant au point de vue des carac­tères que des goûts. Un couple qui ne s’aima pas mais finit par s’estimer, avant d’être uni dans le mal­heur poli­tique et les drames per­son­nels de la Révo­lu­tion. Deux jeunes gens tel­le­ment inhi­bés qu’ils ne sur­ent consom­mer leur mariage, qui vécurent cha­cun de leur côté, à tel point que Marie-Antoinette eut bel et bien une liai­son amou­reuse avec Fer­sen, et qui, à quelques reprises, se mani­pu­lèrent l’un l’autre.
Pour­tant, Charles-Eloi Vial insiste avec jus­tesse sur le com­mune soli­tude, leur iden­tique inca­pa­cité à assu­mer leur rôle de monarques, leur fuite loin des ser­vi­tudes de leur fonc­tion, l’une dans l’intimité de ses appar­te­ments, l’autre dans ses goûts domes­tiques et la chasse.

En fin de compte, l’auteur nous pré­sente une femme à jamais déra­ci­née de son Autriche natale, sym­bole et ciment de l’incroyable ren­ver­se­ment des alliances de Choi­seul en faveur de Vienne, et que toute une par­tie de la Cour, du gou­ver­ne­ment et de l’opinion publique n’accepta jamais. Une jeune Dau­phine qui, comme toutes les autres, arriva au sein du sys­tème curial de Ver­sailles, froid et cruel, dans lequel elle devait se fondre jusqu’à dis­pa­raître.
Or, et ce point est capi­tal, Marie-Antoinette refusa ce moule et signa ainsi très vite sa perte de popu­la­rité, à jamais envo­lée. Fac­teur aggra­vant sur lequel insiste Charles-Eloi Vial : ses limites intel­lec­tuelles, son inca­pa­cité à se concen­trer, son absence de for­ma­tion poli­tique appro­fon­die qui allait se révé­ler dra­ma­tique quand la Révo­lu­tion éclata. Elle épousa le camp réac­tion­naire, là où Louis XVI appa­rais­sait plus conser­va­teur, entre­te­nant des liens épis­to­laires avec sa famille autri­chienne, tout en se tenant à dis­tance de ses beaux-frères Artois et Pro­vence, véri­tables cala­mi­tés politiques.

Malgré ses fautes et ses erreurs, elle ne méri­tait en aucune façon le sort ignoble et humi­liant que les révo­lu­tion­naires lui infli­gèrent. Et dans des pages fort émou­vantes, l’auteur retrace son cal­vaire depuis les jour­nées d’octobre 1789, où elle faillit être mise à mort, jusqu’à la geôle humide de la Concier­ge­rie, en pas­sant par la pri­son dorée des Tui­le­ries et la sinistre tour du Temple. Mais sa répu­ta­tion ne la lâcha pas, y com­pris devant la guillo­tine. “Sa dignité devant la mort fut pour­tant consi­dé­rée par ses adver­saires comme une der­nière marque de mépris jeté à la face du peuple.”

fre­de­ric le moal

Charles-Eloi Vial, Marie-Antoinette, Per­rin, jan­vier 2024, 720 p. — 28,00 €.

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