Un voyage initiatique surprenant
Bernardo Carvalho est un romancier, journaliste, traducteur brésilien, vivant à Sao Paulo. Est-ce que le confinement a été plus difficile au Brésil qu’en France, sous la dictature de Bolsonaro ? On pourrait le penser à la lecture de La dernière joie du monde. Ou est-ce, pour l’auteur, l’occasion de s’appuyer sur cette rupture pour réfléchir au sens de la trajectoire humaine ?
L’héroïne, le personnage qui va occuper la place principale dans la suite de récits, n’est pas nommée. Elle a trente-neuf ans, est sociologue, écrit des livres dans sa spécialité mais également des romans sous un alias masculin. Alors qu’elle assiste à la conférence d’une critique qui ridiculise ses romans, elle est attirée par un étudiant avec qui elle fait l’amour en sortant, sur le parking.
En rentrant, son époux depuis vingt ans lui annonce sa rupture à la veille du confinement. Elle ne peut retrouver l’étudiant, l’université est fermée. C’est pendant cette période d’isolement qu’elle s’aperçoit qu’elle est enceinte. Mais les règles sanitaires la tiennent éloignées des hôpitaux pour un avortement.
Lorsqu’il est à nouveau possible de circuler, elle va rechercher l’étudiant, le retrouver une fois lors d’un fête dans un parc. Ils passent la nuit ensemble et il repart au matin sans qu’elle ait eu le temps d’évoquer l’enfant.
Elle entend parler d’un oracle, un survivant sorti d’un coma sans le moindre souvenir mais capable de prédire l’avenir. Elle décide de le rencontrer et débute un road-movie singulier…
Présentée par Bernardo Carvalho comme Une fable, c’est le parcours d’une héroïne à travers le pays, la relation de ses rencontres plus ou moins insolites, étonnantes. C’est aussi l’interrogation sur la mémoire, sur la transmission intergénérationnelle, la quête d’un but incertain, l’accès aux pulsions et la liberté lorsqu’on a rompu toutes les entraves.
C’est également une parabole sur les différents aspects de la mémoire, sa différence par rapport à l’imagination. Elle va, elle-même romancière, rencontrer un écrivain qui a perdu tous ses repères. Elle fait des rencontres, raconte son histoire, écoute les leurs, leurs parcours, les chemins empruntés. Elle raconte tout à son bébé, fait les questions qu’il pourrait poser s’il en était capable et apporte ses réponses, celles qui lui paraissent appropriées. Puis l’approche de ce voyant qui perçoit l’avenir parce qu’il n’a plus le poids des souvenirs, du passé.
C’est aussi l’abord de grands sujets de société, ceux qui secouent les démocraties comme le racisme sous toutes ses formes, la mémoire qui dégénère, que l’on veut effacer en cassant des statues, en niant des événements des siècles précédents…
Ce court roman, récit, raconte l’apprentissage d’une femme face à un monde qui soudain n’offre plus de réponses. L’apparition d’un virus, la nécessité d’un confinement, moyen moyenâgeux de lutter contre une pandémie qui bouleverse la planète, un enfermement marque une rupture brutale dans la vie des individus et détermine la fragilité des humains qui pensaient tout maîtriser, des société humaines impréparées à de telles catastrophes.
Cette succession de textes qui constitue le parcours de cette héroïne ouvre des interprétations sans doute voulues par l’auteur qui laisse ainsi à chacun d’apprécier un sens ou un autre. Avec ce roman, il livre une belle réflexion sur la réalité du présent, du passé et du futur des humains.
serge perraud
Bernardo Carvalho, La dernière joie du monde (O último gozo do mundo), traduit du brésilien par Danielle Schramm, Métailié, coll. “Bibliothèque brésilienne”, janvier 2024, 128 p. — 18,00 €.