Les sordides meurtres d’apothicaires
C’est à une enquête policière dans le Lyon d’un XVIIIe siècle finissant que le romancier convie ses lecteurs. L’intrigue se structure autour de deux éléments principaux, à savoir ce qui a fait la fortune de la ville et la cupidité. Se mêle une belle équipe de truands menés par un personnage aux motivations incertaines, voire mystérieuses.
Antoine Léonard Toussaint, chirurgien juré, est invité à donner un cours pratique au collège royal de chirurgie de Lyon, bien qu’il pratique habituellement à l’école de chirurgie d’Orléans. Il est l’auteur d’un ouvrage qui commence à faire autorité : Traité de médecine judicaire à l’usage des chirurgiens jurés.
Le 8 juin 1786, alors qu’Antoine pratique une autopsie devant quatre praticiens, le recteur comte de Lyon le fait demander, séance tenante, en salle du Conseil. Le corps du recteur Eugène Coudurier a été trouvé dans l’apothicairerie dont il avait la responsabilité à l’hôpital de la Charité.
Sur place, Antoine constate une hémorragie causée par de nombreux coups d’un objet pointu et apprend que le précédent recteur a été également assassiné, dans les lieux, il y a six mois. Compte tenu de la réussite de son enquête menée avec succès à Orléans, on lui demande de trouver l’assassin et le gouverneur de Lyon lui octroie les pleins pouvoirs. Commencent alors des investigations dans le cadre de l’hôpital, mais également à l’extérieur.
Un nouveau meurtre est découvert. Et Antoine se retrouve en grand danger quand, sur son parcours, il croise un individu qui pilote une bande de truands dans laquelle se trouve un criminel qui a échappé à la justice à Orléans.
Dans Lyon, le romancier retient pour décor principal l’hôpital de la Charité. Il ne reste rien de cet établissement à part le clocher de l’église construit d’après un croquis du Bernin, monument questionnant sur la place Antonin Poncet. Mais, à l’époque où se déroule l’intrigue, cette institution accueillait plusieurs centaines de pauvres, d’enfants, de vieillards et d’infirmes dans des communautés séparées. L’auteur détaille son fonctionnement dans les grandes lignes s’attachant surtout à celui de l’apothicairerie, cadre de deux meurtres.
Avec la profession de son personnage central Pascal Grand détaille les premiers pas d’une police scientifique, le travail mené par ces précurseurs, la manière utilisée pour autopsier les cadavres. C’est également le début de l’examen de la scène de crime par une personne compétente pour analyser les causes de la mort et le processus employé. Il détaille également les compositions des médicaments fréquemment utilisés, les manières de former de futurs praticiens. Il présente la machine imaginée par Mme de Coudray, une sage-femme, qui avait inventé un mannequin pour des cours d’accouchement et qui faisait des formations de femmes dans tout le royaume.
C’est aussi la présentation de la ville, des principaux lieux où se concentraient le quotidien des notables ou ceux qui exerçaient une activité manuelle. Il relate ce monde clos qu’est l’hôpital où sous la piété apparente se dissimulent nombre de turpitudes. Concomitamment, il expose le filet des relations sociales où priment préséance et bienséance.
Il ne masque pas la réalité des désirs charnels et les emportements que ceux-ci peuvent susciter, donnant avec réalisme ce qui pouvait se passer dans la chambre d’une prostituée, dans les lieux désignés par les rumeurs quant à de jeunes orphelines.
La vie personnelle de Toussaint n’est pas occultée avec son épouse, une jeune femme volontaire et intrépide qui a ses entrées dans nombre de lieux fréquenté par la bourgeoisie, et le cousin de celle-ci, un abbé peu confit en religion. Après De sucre et de sang, Pascal Grand propose un roman fort documenté, d’une belle érudition pour définir tous les éléments qui composent l’intrigue, une intrigue fort bien menée dont on suit les péripéties avec un grand intérêt.
serge perraud
Pascal Grand, L’envers de la Charité, Éditions 10/18 n° 5909, coll. “Polar”, novembre 2023, 384 p. — 8,90 €.