Ce qui est véritablement bizarre, c’est d’être normal
L’auteure débute son livre par : “J’ai toujours su que quelque chose ne fonctionnait pas bien dans ma tête.” Elle a donc décidé d’écrire un livre explicitant les liens entre la création et la folie. Pour accomplir la première, ne faut-il pas disposer de compétences appropriées ?
Pour nourrir son essai, elle a compilé une quantité astronomique d’informations sur le sujet. Elle s’est livrée à une immersion dans les apports des autres et a pratiquée une autoanalyse de sa propre personnalité. Une expérience qu’elle a trouvée éprouvante.
Et elle explique sa phobie enfantine avant de comprendre qu’être bizarre n’est pas du tout bizarre. Et c’est précisément de cela que parle le livre, du lien entre la créativité et une certaine extravagance. Elle en déduit par contre que ce qui est bizarre, c’est d’être normal.
Puis elle entre dans le cœur de son thème, l’acte créatif, énumérant les manies de quelques écrivains célèbres. Sénèque ne disait-il pas, au tout début de l’ère chrétienne, dans l’empire romain : “Point de génie sans un brin de folie ” ? Elle évoque des souvenirs, parle de sa situation personnelle, de ses attaques de panique, en raconte les effets dévastateurs.
Comme beaucoup de ses consœurs, elle estime être une multitude et elle décrit la dissociation qu’éprouve le romancier, comme des comédiens, le fait de sentit d’autres personnalités cohabiter avec son moi. En s’appuyant sur la vie de Doris Lessing, elle traque ceux qui, parmi les écrivains, ont subi des traumatismes pendant l’enfance, des chocs qui amènent à l’écriture.
Les compilations qu’elle a réalisées l’amène à constater que les désordres psychiques, les suicides sont plus nombreux chez les écrivains. Cette dernière constatation est appuyée sur une étude scientifique. Elle fait des références, cite un nombre impressionnant d’auteurs, mais Emmanuel Carrère revient souvent. Elle rappelle L’Adversaire, ce livre qui décrit le cheminement de Jean-Claude Romand, un autre cas dramatique de désordre psychique.
Montero donne de magnifiques citations comme : “Les romans sont des rêves que l’on rêve les yeux ouverts. Ils naissent dans le même lieu de l’inconscient où naissent les rêves.” Elle expose nombre d’anecdotes personnelles comme les difficultés rencontrées avec une femme dont le petit ami lui faisait croire que Rosa était sa maîtresse. Souligne que le fait d’écrire est souvent inconscient. Ainsi, elle s’aperçoit, à une époque, que ses romans sont remplis de nains. Elle décide d’être attentive dans son prochain livre, La Fille du cannibale car elle a mis une petite femme comme héroïne sans en être consciente.
Si les tics et les écarts de romanciers restent dans une limite qui ne les fait pas trop se distinguer du reste de la population, Montero raconte longuement le martyre de deux écrivaines qui ont vécu des situations tragiques mais donnant des textes magnifiques. Il s’agit de la néo-zélandaise Janet Frame et de Sylvia Plath. Celle-ci a fini par se suicider en 1963, à trente ans.
Rosa Montero place, en fin de volume, avec les remerciements, une partie de l’énorme bibliographie qu’elle a consultée, dont elle a tiré une partie de la matière de son ouvrage. Dans un ultime paragraphe, elle fait part, c’est émouvant, de son envie de vivre mais de sa peur en allant retrouver l’homme qui a su la séduire. On ne peut que souhaiter à Rosa tout le bonheur du monde.
Le danger de ne pas être folle se révèle comme un livre exceptionnel, à ne pas manquer.
serge perraud
Rosa Montero, Le danger de ne pas être folle (El peligro de estar cuerdo), traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse, Éditions Métailié, coll. “Bibliothèque hispanique”, octobre 2023, 288 p. — 20,80 €.