Jérôme Camut & Nathalie Hug, W3 — t.1 “Le sourire des pendus”

Un thril­ler noir à souhait

L’action débute par l’assassinat sau­vage des Moreau, un couple pari­sien, et l’enlèvement de leurs deux fillettes par Ilya Kali­kine. Dix ans plus tard, Lara Men­dès, chro­ni­queuse dans une émis­sion de Canal 9, est en com­pa­gnie d’Herman Stal­ker, un orga­ni­sa­teur de soi­rées pimen­tées, à la répu­ta­tion sul­fu­reuse. Elle exerce son métier de jour­na­liste et enquête sur le drame vieux d’une décen­nie, per­sua­dée que Stal­ker sait quelque chose sur cette tue­rie. Soo­kie Cas­tel est poli­cière en Bre­tagne. En vou­lant rendre à ses maîtres le dober­man qu’elle a retrouvé errant, elle découvre toute la famille pen­due dans le salon de leur villa. Si ses col­lègues, pour ne pas se com­pli­quer la vie, penchent pour la thèse du sui­cide, elle est per­sua­dée qu’ils ont été assas­si­nés. Elle a eu le temps de repé­rer nombre d’éléments réfu­tant l’autre thèse. Pen­dant une fouille illé­gale, elle trouve un coffre avec une série de médailles et de bijoux. Une recherche dans le fichier des dis­pa­rus lui donne quelques pistes, des noms de jeunes filles per­dues.
Lara est enle­vée sur une aire d’autoroute en allant à rejoindre son amant. Mal­trai­tée, mena­cée de vio­lences sexuelles, elle réus­sit cepen­dant à bles­ser son agres­seur qui s’enfuit, la lais­sant enfer­mée dans un bun­ker dont elle ne trouve pas la sor­tie. Dans une chambre froide, elle découvre le corps congelé d’une jeune fille. Son jeune frère est à sa recherche, scan­da­lisé que la police ne fasse pas des recherches plus actives. Aidé par Arnaud de Battz, le pro­duc­teur de l’émission pour laquelle tra­vaille Lara, il va tout mettre en œuvre pour la retrou­ver sans se dou­ter sur quelles hor­reurs, sur quels réseaux d’esclavage sexuel il va tomber.

Jérôme Camut et Natha­lie Hug ont déjà signé Les Voies de l’ombre aux Édi­tions Télé­maque, une remar­quable tétra­lo­gie construite sur la traque d’un tueur en série par­ti­cu­liè­re­ment odieux. Ils réci­divent avec ce pre­mier volume d’une tri­lo­gie dont l’intrigue est en prise directe avec la réa­lité. Elle porte sur ces réseaux ani­més par : “…des monstres capables de vendre, de vio­ler, de tor­tu­rer et de tuer des femmes pour le plai­sir.” Ils s’attachent au fonc­tion­ne­ment de ces chaînes d’esclavage sexuel, de la pros­ti­tu­tion for­cée. Ils exposent les déviances et les per­ver­sions dont font preuve des nan­tis, ainsi que les struc­tures mises en place pour les satis­faire. Si, dans leurs pré­cé­dents livres, les auteurs sui­vaient sur­tout les pré­da­teurs et leurs vic­times, dans ce roman, ils s’intéressent à la famille des vic­times, à leurs proches, à leur entou­rage, un micro­cosme qui n’est qua­si­ment jamais évo­qué, ni dans les romans, ni dans les médias. Para­doxa­le­ment, c’est tou­jours la famille du délin­quant qui est en vedette dans les jour­naux télé­vi­sés.
C’est aussi en tant que citoyens que les auteurs réagissent aux blo­cages qui minent la société, à ces pro­cé­dures judi­ciaires com­plexes aux résul­tats si incom­pré­hen­sibles. Ils dénoncent ces voyous qui uti­lisent les lois (ou leurs carences) à leur seul pro­fit, les injus­tices qui en découlent, les abus et toutes les souf­frances humaines qu’une légis­la­tion faite par d’honnêtes gens aurait dû évi­ter. Avec ces élé­ments, ils ima­ginent une intrigue à tiroirs construite à l’image des pou­pées russes et conçoivent, pour l’animer, une gale­rie de per­son­nages aux carac­tères fine­ment éla­bo­rés, aux pro­fils psy­cho­lo­giques riches et denses,  basant leur récit sur une docu­men­ta­tion solide faite de docu­ments, de rap­ports, de témoi­gnages, de ren­contres avec tous les inter­ve­nants dans ce domaine : familles des vic­times, juges, avo­cats, poli­ciers, journalistes…

Mais tout n’est pas noir. Ils mettent en valeur la pug­na­cité de « Don Qui­chotte » de toutes natures qui croient encore à un monde plus juste et qui luttent, avec des moyens déri­soires contre des mafias, des lob­bies, aux moyens presque infi­nis puisque nour­ris de l’exploitation de l’être humain. Il faut sou­li­gner le tra­vail édi­to­rial avec un calen­drier qui iden­ti­fie chaque phase du récit et la mise en valeur du nom du per­son­nage au début des cha­pitres. Le sou­rire des pen­dus est un roman dur, à l’image du milieu qu’il décrit, un roman, ô com­bien !, pas­sion­nant pour son intrigue forte ser­vie par une théo­rie de per­son­nages tous plus réels les uns que les autres.

serge per­raud

Jérôme Camut et Natha­lie Hug, W3, tome 1 : « Le sou­rire des pen­dus », Édi­tions Télé­maque, mai 2013, 752 p. – 21,00 €.

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