Michel Winock, Flaubert

Un ouvrage remarquable

Michel Winock, dont la répu­ta­tion d’historien n’est plus à faire, se révèle avec ce livre un bio­graphe de pre­mière force. S’agissant de Flau­bert, sujet de nom­breux tra­vaux bio­gra­phiques, l’entreprise rele­vait de la gageure : com­ment faire autre chose qu’un « digest » des thèses des pré­dé­ces­seurs, en évi­tant en même temps de défor­mer l’image du roman­cier par souci d’originalité ? Winock a résolu le pro­blème avec brio, d’une part en livrant au fil des cha­pitres une excel­lente syn­thèse cri­tique des points de vue de ses devan­ciers, et d’autre part, en tirant avan­tage de son éru­di­tion pro­pre­ment his­to­rique, pour dépeindre Flau­bert dans le contexte des mœurs, des usages et des évé­ne­ments propres à son temps. La sen­si­bi­lité de l’auteur pour tout ce qui relève du pro­ces­sus et de l’évolution contri­bue à la qua­lité du livre, nous fai­sant décou­vrir un Flau­bert à la fois fidèle à lui-même depuis l’enfance (mélan­co­lique, sen­sible à la bêtise, porté par l’amour de l’art) et un homme qui change énor­mé­ment sur cer­tains plans, notam­ment quant à l’intérêt pour les idées et l’action poli­tiques.
La conti­nuité entre l’enfant, l’adolescent et l’adulte Flau­bert est mise en valeur avec une grande per­ti­nence : Winock montre qu’à dix ans déjà, le futur roman­cier avait sa vision du monde bien for­mée et ses ten­dances artis­tiques défi­nies. Le bio­graphe met en valeur la pré­co­cité et l’abondance des écrits remon­tant aux jeunes années, pour réfu­ter la thèse (pas­sée à l’état d’idée reçue) selon laquelle Flau­bert aurait été un écri­vain des plus labo­rieux. A ce pro­pos, Winock explique de manière par­fai­te­ment convain­cante que les fameuses souf­frances du roman­cier à sa table de tra­vail étaient dues aux dif­fi­cul­tés objec­tives d’entreprises lit­té­raires comme Madame Bovary ou L’Education sen­ti­men­tale, pro­jets radi­ca­le­ment nova­teurs et qui impli­quaient, pour Flau­bert, le besoin de contra­rier sa ten­dance natu­relle à la verve exu­bé­rante, pour créer une écri­ture dis­tan­ciée, où le nar­ra­teur s’efface au pos­sible sous l’exposé des faits nar­rés, ne fai­sant entendre son point de vue que de manière implicite.

Quant à l’homme Flau­bert, Winock a su mon­trer à quel point ce misan­thrope reven­di­qué était, fac­tuel­le­ment par­lant, un être bon, géné­reux, tou­jours prêt à se mettre en quatre pour ses amis ou pour sa nièce, quitte à finir sa vie ruiné par le mari de celle-ci. Dans le cha­pitre où il est ques­tion des déboires finan­ciers, le roman­cier appa­raît sous un aspect qui le rend com­pa­rable au père Goriot ; Winock ne force pas le trait, mais s’en tient aux faits, suf­fi­sants pour vous mettre la larme à l’œil.
La seule cri­tique que je puisse adres­ser à ce remar­quable ouvrage concerne le manque évident de tra­vail de cor­rec­tion : on y trouve par endroits le même groupe syn­taxique deux fois de suite, et d’autres fautes de dis­trac­tion, dont un cor­rec­teur aurait pu débar­ras­ser ce texte au style par ailleurs gra­cieux et riche.

agathe de lastyns

Michel Winock, Flau­bert, coll. “NRF bio­gra­phies”, Gal­li­mard, mars 2013, 534 p., — 25,00 €

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