Entre ésotérisme et fantastique
Mathis, encouragé par son père, s’apprête à faire un vol en wingsuit. Il est terrorisé car, pour lui, cela ressemble plus à un suicide qu’à un sport. Une fausse manœuvre propulse l’adolescent à 200 km/h contre une paroi rocheuse du Verdon.
Deux semaines plus tôt, Mathis fait la fête dans l’appartement parisien de ses parents avec amis et connaissances, une nuit où ne manquent ni alcools, ni drogues. Dès le lendemain il part dans le Verdon, pour le château de ses grands-parents. Ceux-ci sont à la tête d’entreprises florissantes. Il est destiné à en être l’héritier. Son père veut l’endurcir pour tenir ce rôle, alors que Mathis rêve à tout autre chose. Il doute, se cherche, ressent comme un monstre qui le ronge à l’intérieur.
Mathis se réjouit, cependant, car il retrouve Hedy, son amie. Mais autant il est timoré, autant la jeune fille est fougueuse, fait de la moto et possède un caractère affirmé. Le fait qu’ils n’appartiennent pas au même milieu social ne les gêne pas.
Sa famille entretient autour de lui un certain mystère à coups de phrases sibyllines, laissant entendre qu’il est exceptionnel, condition qu’il est loin de ressentir. Une aile du château a été condamnée pour des raisons obscures. Mathis entend des bruits étranges, entraperçoit des ombres aux fenêtres, des ombres qui semblent le suivre, l’espionner. Mais Hedy, avec son allant, l’entraîne à éclaircir ces mystères. Mais lever le voile n’est-ce pas ouvrir la porte à des secrets qu’ils vaudraient mieux laisser dormir ? Quelles horreurs se cachent derrière ces murs?
Outre un prologue et un épilogue, le récit se compose de quatre parties où les actions sont racontées par des narrateurs différents. Mathis ouvre le livre, Hedy le poursuit… C’est principalement autour de ces deux adolescents que Philp Le Roy construit son histoire, les confrontant à d’aventureuses interrogations.
Il installe son récit dans un cadre superbe, proche des gorges du Verdon et déroule l’essentiel de son intrigue dans un château très ancien, propice à de bien belles péripéties. Il concentre des mystères, des énigmes, des secrets, des non-dits. Parallèlement, il met en scène nombre d’éléments de l’épouvante avec cette demeure angoissante, des personnages inquiétants, des ombres sinistres, une vieille femme qui ne semble pas si infirme, une sorcière plus malsaine que les fantômes qu’elle est supposée chasser. Il met ses deux héros face aux conséquences d’événements du passé explicitant les raisons de situations actuelles.
De belles données, tant historiques qu’issues de la culture populaire, confortent les apports importants de son intrigue. C’est ainsi qu’il renseigne sur l’Ahnenerbe cette structure nazie, sur les poupées hantées, les objets maudits. Il rend, avec le prénom de l’héroïne, un bel hommage à Hedy Lamarr, une des femmes exceptionnelles du XXe siècle. Il intègre une riche discographie, citant David Bowie, l’idole de Mathis, mais aussi, par deux fois, l’immense Jacques Brel.
Il introduit les Ombres, décrit la volonté qui les a fait embrasser ce statut et retrace leur existence. Le romancier place tant de références touchant de nombreux domaines qu’après avoir été chercher, aux bonnes sources, des informations complémentaires, on a le sentiment d’avoir lu plusieurs livres.
Philip Le Roy n’a pas habitué ses lecteurs à des histoires lénifiantes. Mais, avec ce roman, il place la barre bien haute tant il multiplie les rebondissements, installe des éléments propres à faire monter la tension jusqu’à un dénouement admirable.
Destiné d’abord à un public de jeunes adultes, ce livre en remontre à beaucoup de récits dénommés, bien à tort, thrillers.
Un roman à la densité émotionnelle époustouflante !
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serge perraud
Philip Le Roy, Les Ombres aussi ont peur du noir, Rageot, mai 2023, 416 p. — 16,00 €.