Le complotisme le plus débridé !
La Révolution française a été une période très troublée, c’est le moins que l’on puisse dire. Et ces périodes voient fleurir un nombre incalculable de plans ourdis dans l’ombre. Si effectivement, il y a eu des conspirations contre le mouvement, elles n’ont été que ponctuelles telles celles du comte d’Antraigues, de Gracchus Babeuf…
Cette phobie conspirationniste, la traque de cette Main cachée qui veut influencer les événements, atteindra son paroxysme au cours de l’an II avec, par exemple, la Conspiration de l’étranger.
Dans cet ouvrage, l’historien ne souhaite pas embrasser le phénomène dans sa globalité. Il limite son étude en retraçant l’histoire d’une croyance, celle des origines occultes de quatre-vingt-neuf. La Révolution aurait été préparée dans le plus grand secret. Dès les premiers mois, quatre hypothèses, qui vont devenir une “réalité”, sont retenues. À la manœuvre, ce sont les philosophes des lumières, les protestants, les francs-maçons et l’Angleterre. L’action des jansénistes et de la maison d’Autriche a également eu droit à suspicion, mais dans une moindre mesure.
Trois complots très souvent associés, philosophico-calvino-maçonnique, tiennent une belle place aux côtés des intrigues de l’Angleterre. Voltaire, le duc d’Orléans, Necker et Pitt sont les instigateurs des cataclysmes. Pour nombre de personnes, 1789 n’a pu naître que dans le cerveau pervers et déréglé d’un écrivain forcené, d’un prince de sang dégénéré, d’un banquier genevois dévoré d’ambition et d’un politicien insulaire gonflé de haine pour la France.
La première partie du livre est consacrée aux multiples facettes de cette fièvre et s’appuie sur Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme de l’abbé Augustin Barruel qui paraît en 1797 et qui devient la bible de la littérature conspirationniste. Celui-ci décrit, de façon fort adroite, un complot totalitaire, d’abord français avec la Révolution qui n’est qu’un essai des forces de la secte, avant de s’étendre sur le reste du monde.
De longue date, le bruit s’est répandu que la Révolution a été le résultat d’une conspiration ourdie à Londres par William Pitt. Mais, si ce ministre est mis en première ligne, il ne faut pas douter que c’est la nation toute entière qui est prête à tous les forfaits pour assouvir sa soif inextinguible de domination mondiale.
Edmond Dziembowski détaille l’emballement de la machine à complots où tout événement vient grossir le flot et les amalgames.
Une seconde partie propose un éclairage de cette obsession du complot, de l’intervention de personnages aux menées occultes, sur une période couvrant l’Ancien Régime, les années révolutionnaires jusqu’au XXIe siècle. En conclusion, l’historien relate le parcours de Bernard Faÿ qui, après une carrière prestigieuse, bascule dans les années 1940 dans l’antimaçonnique le plus dur. Il rappelle que les adeptes de la Main cachée ne sont, dans leur majorité, ni des imbéciles, ni des fous.
S’appuyant sur une bibliographie pléthorique, l’historien retrace avec maestria le cours de ce complotisme, en présente les grands acteurs et donne une somme impressionnante d’informations particulièrement éclairantes. Cet ouvrage, au contenu d’une modernité remarquable, permet de mieux saisir les mécanismes employés par les divers conspirationnistes qui sévissent, de plus belle, à notre époque.
serge perraud
Edmond Dziembowski, La Main cachée — Une autre histoire de la Révolution française, Éditions Perrin, février 202, 368 p. — 24,00 €.