Dans un village rongé par les secrets…
Le prologue raconte le suicide, le 17 janvier 1999, de Viktor Mendi, un entrepreneur ruiné, et de Dolores, son épouse. Il coupe le moteur de son avion de tourisme au-dessus d’un massif pyrénéen.
En janvier 2023, Noah, membre de la communauté de Ceux de la forêt, sorte de secte fonctionnant en autarcie sous la coupe de l’Espada, la matriarche, quitte son logement pour se fondre dans la nature.
Au village, ce même matin, Mathias, un berger, constate qu’il a encore perdu trois bêtes. Il n’en peut plus de la réintroduction des ours et des loups. Ce sont ses enfants qui lui montrent dans le pré sept bonhommes de neige en cercle. Au centre, il voit, gravé dans la neige : “Ont vous auras”. Il se rend chez Loyola, dit le Prêcheur, qui a découvert dans sa cour sept bonhommes avec “Vous êtes morts”.
Antoine Mendi, qui avait dix ans à la mort de ses parents est devenu chasseur alpin. Quand il est revenu au village enterrer son grand-père qui l’avait élevé, il a compris que sa vie était ici. Il a pu se faire muter dans la petite brigade de gendarmerie commandée par la capitaine Elda Flores.
L’équilibre précaire entre les communautés est rompu quand Mathias tue le loup apprivoisé de Miren, l’amie de Raquel, la seule femme qui compte aux yeux de Noah. Et c’est Antoine qui va découvrir, lors de son jogging, Miren inconsciente après un coup reçu…
Sonja Delzongle sublime son décor et fait de cette contrée des Pyrénées, un personnage à part entière. Elle décrit la montagne avec précision, détaillant sa beauté, la puissance qui se dégage de ce massif et son influence sur l’existence des humains qui vivent sur ses flancs. Mais, si elle peint sa splendeur, elle rappelle les dangers, la rudesse qu’elle impose à ceux qui la fréquentent.
Et ceux qui fréquentent cette montagne sont nombreux. La romancière anime une pléthorique galerie de protagonistes, construisant un profil élaboré pour chacun, détaillant son caractère. Mais, parmi cette population, émergent Elda Flores, Antoine Mendi, Mathieu et son ami le Prêcheur, mais aussi un petit groupe autour de Noah.
Elle raconte la vie du village, de ceux qui jouent un rôle moteur dans la marche de la communauté, ceux de ce groupe vivant sous le joug de cette matriarche qui impose l’union d’individus qui ne s’aiment pas, leur désir allant vers d’autres. Et cette rigueur pousse d’aucuns à vouloir s’affranchir, partir pour découvrir autre chose que cette prison.
C’est la relation des sentiments des uns et des autres, de leurs opinions et la multiplication des secrets, des non-dits, des mensonges, de la haine qui s’installe, de la violence réprimée qui ne demande qu’à éclater, des culpabilités reconnues ou cachées. De plus, certains ne sont pas ce qu’ils paraissent, ne jouent pas le rôle qui leur est dévolu dans le groupe.
L’auteure aborde nombre de thèmes. D’abord un respect de la nature, une écologie réelle, mais aussi des situations difficiles, voire terribles, comme la pédophilie. Et, elle ne fait pas dans la dentelle, décrivant une réalité telle qu’elle peut exister même si elle peut choquer, révolter.
Avec ce superbe roman Sonja Delzongle confirme, si besoin était, sa place de Grande Dame du thriller pour son art à concevoir une théorie de personnages singuliers, mais si vrais, et à les entraîner dans une ronde machiavélique.
serge perraud
Sonja Delzongle, Abîmes, Folio, coll. “Policier” n° 983, mars 2023, 496 p. — 9,20 €.