Bernard Minier, Un œil dans la nuit

Un œil par­ti­cu­liè­re­ment mauvais

Dans un pro­logue, un homme ter­ri­fie le prêtre venu pour l’extrême-onction en lui révé­lant qu’il connaît l’enfer, qu’il a été un de ses démons. Il le sup­plie de remettre une lettre.
Le récit débute le mardi 21 juin pour se ter­mi­ner le mardi 28. En huit jours, les enquê­teurs vont affron­ter le pire dans une spi­rale de l’horreur.

Le com­man­dant Mar­tin Ser­vaz rejoint le lieu­te­nant Samira Cheung et le capi­taine Vincent Espé­ran­dieu à l’hôpital psy­chia­trique de Tou­louse où un homi­cide a été décou­vert. Un malade, san­glé sur son lit, le corps lacéré. Mais c’est une réac­tion aux piqures d’abeille intro­duites dans sa gorge qui l’a tué.
Ser­vaz remarque un signe inso­lite tracé au bord du lit avec le sang répandu, une spi­rale. Cet homme était un as des effets spé­ciaux dans le cinéma d’horreur. Or, le patient qui occupe la chambre voi­sine a dis­paru. Même en scru­tant la vidéo, on ne le voit jamais sortir.

Judith, étu­diante en esthé­tique du cinéma, se rend chez Mor­bus Dela­croix, un cinéaste qui a tourné cinq des meilleurs films d’horreur avant d’arrêter et de se reti­rer au fond des Pyré­nées. Elle veut écrire une thèse sur son œuvre. Après avoir été confron­tée à des signes désta­bi­li­sants pen­dant son voyage, elle arrive chez lui avec une cer­taine ten­sion. Or, elle cache d’autres moti­va­tions.
Ser­vaz est confronté à cette dis­pa­ri­tion incom­pré­hen­sible. Un autre meurtre l’amène, lui et son équipe, dans une suite de décou­vertes toutes plus effrayantes les unes que les autres, autour de ce film si gore que per­sonne n’a voulu l’exploiter en salle…

Avec ce nou­veau roman, Ber­nard Minier explore l’univers du cinéma d’horreur, basant son intrigue sur les consé­quences du tour­nage d’un film mau­dit. Pour ce faire, le roman­cier s’est immergé dans le genre, vision­nant plus de deux cents films. Si cer­tains sont des navets, d’autres méritent de s’y attar­der et quelques-uns sont de remar­quables réus­sites. Il donne, en fin de volume, une liste de cent-cinquante titres clas­sés selon leur année de sor­tie en salle.
Avec Mor­bus Dela­croix, cet indi­vidu qui occupe une large part du récit, Ber­nard Minier crée un per­son­nage comme il les aime et comme on les aime (dans les romans seule­ment !). Il a tourné cinq longs métrages qui ont fait scan­dale et après Orpheus ou la Spi­rale du Mal, œuvre que per­sonne ne verra, il arrête le cinéma et se retire, avec son épouse, dans des mon­tagnes. Il refuse toute inter­view. Il a un côté sombre, il est pro­vo­ca­teur, exces­sif, génial dans son domaine et proche d’une forme de folie. Mais il sus­cite un engoue­ment et de nom­breux fans le vénèrent.

On retrouve avec plai­sir le com­man­dant Mar­tin Ser­vaz et son équipe rap­pro­chée. Celui-ci a des sou­cis fami­liaux avec son fils à gar­der. Il s’interroge sur les rai­sons du départ pour l’Afrique de Léa, sa com­pagne. Une fois encore son créa­teur lui fait affron­ter des épreuves de plus en plus ter­ribles jusqu’à l’horreur abso­lue. Il va éga­le­ment le mettre en grave dan­ger jusqu’à la der­nière ligne. Quel suspense !

Pour ce livre, le roman­cier étend le champ d’interventions de ses enquê­teurs. Si le Sud-Ouest est tou­jours très pré­sent comme décor, il leur fait faire des incur­sions dans Paris et sa Région, à Etre­tat, en Bre­tagne sur une île qui res­semble très for­te­ment à celle où Tin­tin affronte un gorille.
Il dis­perse, au fil des pages, nombre de petites perles humo­ris­tiques, imper­ti­nentes ou mali­cieuses. À Etre­tat il dénomme un bar Le Bussi. Les enquê­teurs, sur les traces d’un délin­quant, trouvent son adresse, la rési­dence Mon­tre­tout à Saint-Cloud…

Avec une fil­mo­gra­phie qu’il détaille, les com­pa­rai­sons, les rap­pro­che­ments qu’il pro­pose, l’auteur fait preuve d’une belle culture. Cette plon­gée, dans un cinéma de genre qui retrouve ces der­nières années un cer­tain suc­cès, sert à mer­veille une intrigue mil­li­mé­trée, por­tée par une gale­rie flam­boyante de protagonistes.

serge per­raud

Ber­nard Minier, Un œil dans la nuit, XO Édi­tions, coll. “Thril­ler”, avril 2023, 512 p. — 22,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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