Tout est singulier dans ce thriller
Avec Brouillards, Victor Guilbert propose la troisième enquête de son singulier policier. Il ne sait pas mentir et possède une étrange faculté qui se concrétise par une bille qui apparaît dans son cerveau, plus ou moins brusquement, plus ou moins brutalement et qui exprime, à sa manière, ce que son inconscient a perçu.
À New York, Mama, Marcel Marchand, un expert physionomiste de la DGSE, travaillant sous couverture à l’ONU, s’aperçoit qu’il est démasqué et qu’il a deux agents de la CIA aux trousses. Il se réfugie dans l’Edmond Theater, dans l’immense réserve d’accessoires tenue par Félix. Lorsque Mama revient vers l’entrée, sa sacoche est vide. Il a le temps d’écrire un mot sur le dessin que réalise Félix avant d’être abattu d’une balle dans la tête.
Hugo Boloren a démissionné de la Police et tente de se reconvertir comme zythologue. Mais, il s’aperçoit qu’il préfère boire la bière plutôt que la brasser. Aussi, quand le colonel Grosset le retrouve pour le convaincre d’aller à New York afin de récupérer l’objet caché, il accepte d’autant que Mathilde, sa compagne, revenue enceinte, vient avec lui. De plus, Grosset finit par lâcher que le mot écrit par Mama est Boloren.
Il est présenté aux membres du théâtre comme le nouveau Barman. Bien que sa mission soit très cadrée, retrouver l’objet caché par Mama et le rapporter, Hugo va, sous l’impulsion de sa bille, aller bien au-delà au point de déclencher des actions et des réactions qui vont le mettre dans des situations périlleuses et entraîner…
Le cadre essentiel de l’intrigue est ce théâtre qui subsiste parce qu’il bénéficie d’un statut particulier. Construit au XIXe siècle, il a la réputation de porter chance à la pièce quand on y joue lors de la Première. Un accessoire est laissé à l’issue de la représentation, ce qui a amené à la constitution de la montagne sacrée, un sous-sol où est entreposé un nombre faramineux d’objets.
La montagne sacrée est sous la responsabilité de Félix, un garçon trisomique, le fils de l’ex-consul de France à New York. Autour de lui, se meut un groupe de personnages particulièrement atypiques, depuis Tristan, le directeur qui s’entretient physiquement au point de ressembler à James Bond, Max, son adjointe et maîtresse, proche de Mary Poppins. L’éclairagiste est aveugle. Un perroquet nommé Tchekhov est alcoolique et le janitor est un vieil homme noir au phrasé aristocratique. Une ancienne gloire joue les fantômes et deux agents de la CIA surveillent l’ensemble. Papillonne également Clara Colombo, une agente de la DGSE chargée d’assurer la protection du couple Hugo-Mathilde.
Si Hugo est heureux du retour de sa bienaimée, il a des soucis avec la santé fragile de sa mère. Et le romancier s’appuie sur ce petit monde, où chacun a des choses à cacher, pour dérouler une intrigue tortueuse à souhait. Les révélations cohabitent avec les coups de théâtre (décor oblige !) jusqu’à un dénouement fort habile. C’est à la manière d’Hercule Poirot que l’enquêteur, ayant réuni tous les acteurs du drame, révèle peu à peu ses conclusions et divulgue le nom du ou de la criminel.
Brouillards est au pluriel car une brume épaisse s’est abattue sur New York, ce qui gêne visibilité et mobilité. C’est aussi dans un brouillard épais que progresse l’enquêteur traquant un ou des éléments dont il ignore tout. « Au moins, quand on cherche une aiguille dans une botte de foin, on sait quoi chercher. »
L’intrigue fait, entre autres, référence à une pièce de théâtre dénommée La Cigale qui semble avoir une belle importance et que Sacha Guitry cite dans ses mémoires. L’humour n’est pas absent, il se distille dans un second degré délicieux.
Ce nouveau volet des enquêtes d’Hugo Boloren est enchanteur pour la rouerie de l’histoire et pour les cadres atypiques dans lesquels elle se déroule.
serge perraud
Victor Guilbert, Brouillards, Hugo, coll. “Thriller”, avril 2023, 272 p. — 19,95 €.