Cette quatrième enquête du commissaire De Luca commence en juillet 1943. Le romancier installe son intrigue dans un cadre historique particulièrement mouvementé. En effet, la période qui débute le 25 juillet pour aller jusqu’au 8 septembre 1943 est encore plus riche en bouleversements.
C’est à l’issue d’un entretien avec le roi que le Duce est arrêté, emprisonné. C’est un chaos supplémentaire qui s’installe pour ne s’atténuer que début septembre par la signature de l’armistice avec les Alliés.
De Luca trébuche, tombe et échappe à la mort alors qu’il investit, avec des collègues, la planque d’un trafiquant de produits alimentaires. Mais, il a plongé la tête et mis les mains sur un cadavre dont on a coupé la tête à la hache.
Un gamin terrorisé parle du Christ des chiens, qu’il a vu le Christ des chiens. Le lendemain, De Luca est en compagnie de Lorenza qu’il a accompagné à la plage. Mais il ne pense qu’à son enquête. Il se rend à la Chartreuse voir cette fresque du Christ et comprend où se trouve la tête qui lui manque. Lorsqu’il la ramène, avec difficultés, au médecin légiste, celui-ci lui annonce que ce n’est pas la bonne… la coupe ne correspond pas.
Parallèlement, c’est l’effervescence, voire la panique dans tous les milieux car le gouvernement du Duce est tombé. Des drapeaux rouges surgissent et des fascistes changent de vêtements et d’attitudes.
C’est dans ce contexte très mouvementé, entre les bombardements de la ville, les conséquences du coup d’État contre Mussolini, l’occupation allemande du nord de l’Italie, que le commissaire veut mener son enquête coûte que coûte. Or, les ramifications de cette affaire dérangent beaucoup de responsables même si l’affolement gagne ces sphères…
Dans une Italie en guerre, en crise politique, avec des structures tant administratives que militaires conçues par le régime fasciste, la déchéance du Duce provoque des raz-de –marée. C’est le moment où chaque individu impliqué dans le fonctionnement d’une organisation doit faire des choix. C’est alors la disparition des écussons, insignes, des chemises noires et l’attente quant à savoir ce qui va se passer.
Dans ce maelstrom de raisonnements, de calculs, continuer à mener une enquête relève d’une gageure. Mais De Luca, indifférent aux changements politiques, aux compromissions, aux menaces, traque, interroge, fouille insensible à la corruption ahurissante qui règne à tous les degrés de la police comme de l’armée. Il identifie les réseaux de complicité, reçoit des coups mais rien ne l’arrête. Il veut savoir, aller au bout, comprendre quel qu’en soit le prix à payer.
L’auteur décrit les trafics, les jeux d’influence, les structures politiques et administratives qui vacillent et les règlements de compte qui se préparent, les plus virulents étant ceux qui ont le plus à se faire pardonner. On retrouve cette même situation en France à partir de 1944.
Avec ce roman noir, très noir, Carlo Lucarelli restitue de belle manière l’ambiance qui pouvait régner à cette époque où les choix devenaient cruciaux.
On peut aussi admirer la constance de Lorenza qui excuse le manque d’attentions de son fiancé, ses rendez-vous manqués, ses retards, son obsession pour ses enquêtes au point de négliger la belle pharmacienne.
Avec Péché mortel, Carlo Lucarelli mène une réflexion prodigieuse sur les cendres de l’Italie fasciste avec une enquête retorse menée par un policier obsessionnel dans sa traque de vérité.
serge perraud
Carlo Lucarelli, Péché mortel (Peccato mortale), traduit de l’italien par Serge Quadruppani, Métailié, coll. “Noir”, mars 2023, 256 p. — 20,50 €.