Laure a arrêté de se nourrir. Elle a un sentiment de puissance. Mais le froid est arrivé, ce froid qui lui dit qu’elle est au bout. C’est parce qu’elle est accrochée au radiateur qu’elle accepte un premier rendez-vous, un mercredi à l’hôpital. Mais, c’est encore trop tôt. C’est à l’ultime limite, trente-six kilos pour un mètre soixante-quinze qu’elle accepte. Elle a trente-cinq de température, huit de tension, des escarres, elle souffre d’aménorrhée, d’un ralentissement du pouls et de la pression sanguine…
Elle accepte enfin d’entrer à l’hôpital, de se faire prendre en charge par un médecin qui a su la convaincre.
Et c’est le récit de ces journées cadencées par les soins, la visite, les rencontres avec les autres de ce service de nutrition. C’est la lutte sans fin pour se nourrir. Il faut passer par la sonde entérale, la vidange gastrique car l’estomac est revenu à la taille d’un bébé de six mois. Mais c’est le refus du corps, l’impression que chaque goutte ingérée fait gonfler. Cependant, elle n’est plus tout à fait seule à se battre contre elle-même.
Et pourquoi cette situation, qu’est-ce qui a fait basculer dans l’anorexie cette étudiante de dix-neuf ans ? Est-ce un reniement face à cette mère folle, internée, ce père alcoolique qui l’injurie sans cesse, sa petite sœur dont elle se sent responsable, Pierre dont elle est amoureuse et qui lui annonce qu’il veut épouser… une autre ?
Delphine de Vigan raconte ce combat, cette bataille pour accepter de se nourrir, de revenir vers les vivants, vers ceux, peu nombreux, qui viennent la voir. Des phrases courtes, des mots précis pour tenter de cerner ce qui lui est arrivé, pourquoi a un moment elle a choisi cette attitude. Elle n’a pas continué à se nourrir puis se faire vomir. Elle a simplement arrêté de manger.
C’est le récit de ces journées à essayer de se reconstruire. Il faut s’occuper. Elle se hasarde au tricot, elle écrit beaucoup, comme une thérapie, des lettres qu’elle n’envoie pas. Ce sont les repères qui ponctuent les heures, la pesée, les repas, la visite des soignants.
Pourra-t-elle vaincre sa maladie ? La romancière sait entretenir un certain suspense, trouve les expressions pour faire ressentir ce que Laure vit au quotidien, son combat contre son corps, contre elle.
Ce roman a été publié en 2001, aux éditions Grasset, sous le pseudonyme de Lou Delvig.
serge perraud
Delphine de Vigan, Jours sans faim, Folio n° 7170, coll. “Romans et récits”, janvier 2023, 178 p. — 6,90 €.