Un étonnant roman historique !
Si Arnaldur Indridason est mondialement connu pour ses romans noirs, il faut se souvenir qu’il est historien de formation. Avec ce nouveau livre, il éclaire de belle manière la société islandaise au XVIIIe siècle sous la coupe d’un roi brutal.
Jon Sigurdsson, fils de Sigurdur, s’est installé, après son apprentissage, horloger à Copenhague sous le nom prononçable par les Danois de Siversten. Sa réputation, après quelques décennies de travail, lui ouvre les portes du palais royal. Il sait que quelque part est remisée une merveille, une horloge assemblée en 1592 par Isaac Habrecht, celui-là même qui a élaboré la grande horloge de la cathédrale de Strasbourg. Cette pièce était destinée au pape Sixte V et célébrait la gloire de Dieu.
Face au chef-d’œuvre bien détérioré, Jon a une révélation, il doit la restaurer. Le régisseur de la salle des collections l’autorise à venir travailler. Un soir, le roi Christian VII, féru d’armoiries de d’héraldiques, le découvre dans les lieux. Après quelques explications, il accepte que Jon la répare.
Quelques semaines plus tard, s’ennuyant, le roi se rappelle de l’horloger et lui rend visite une bouteille de Madère à la main. Il l’interroge sur sa vie, sur son père. Jon, bien hésitant, répond que ce dernier, bien qu’innocent, a été décapité, sa compagne noyée sur ordre de Frédéric V le père du roi. Il a été accusé de fornication et d’usurpation de paternité en vertu du Storidomur, le Jugement suprême.
Furieux que son père soit ainsi mis en cause, il menace Jon des pires sévices. Mais, la curiosité l’emportant, il revient régulièrement pour lui faire raconter les faits, se réservant le droit de le faire exécuter à son tour…
Le roman se compose de deux récits principaux, le travail de Jon Siversten sur l’horloge, le récit au roi de la vie de son père Sigurdur au milieu du XVIIIe siècle en Islande.
C’est la description avec force détails, tous pertinents, de la rudesse de l’existence sur cette île désolée, un territoire qui, bien que faisant partie des possessions du royaume du Danemark est quasiment inconnu du monarque. Avec le témoignage de Jon, il va découvrir une société gouvernée de façon tyrannique par des représentants de la royauté, des baillis chargés de faire appliquer les lois, de faire régner la justice. Sur ce territoire isolé, peu peuplé, les rapprochements entre hommes et femmes sont relativement libres et entraînent des naissances jugées illégitimes par un Frédérik V ayant embrassé le courant piétiste. Il croyait dur comme fer à la vertu des châtiments corporels.
Jon raconte sa rencontre avec Eggert Olafsson, un poète qui va être à l’origine de sa vocation en lui faisant découvrir une pendule. Son maître d’apprentissage l’informe sur le chef-d’œuvre de cet horloger suisse, lui-même ayant essayé de la réparer. Il relate la pêche, la pauvre agriculture et les tentatives de son père d’acclimater de nouvelles espèces de céréales et légumes. mais, il n’occulte pas la barbarie de l’époque.
C’est aussi le face à face où ils découvrent des parallèles insoupçonnables, l’un et l’autre n’ayant-ils pas fréquenté des hommes de progrès qui ont connu un destin affreux. Christian VII, n’a-t-il pas une vie sentimentale proche de cette de Sigurdur ? Trompé par la reine avec son médecin, il reconnait la fille issue de cette liaison adultère. N’a-t-il pas fréquenté, avec un grand bonheur, Catherine à la Bottine, une prostituée ? Mais un monarque peut-il admettre qu’on remette en cause ses décisions, ou celles d’un prédécesseur, même s’il en a souffert ?
Ce onst aussi les interrogations de Jon sur ce qu’il peut raconter compte tenu des réactions de son interlocuteur, décidant, cependant, d’être le plus honnête possible.
Le talent de conteur d’Arnaldur Indridason, son art de construire un récit en tension pour le mener jusqu’à un dénouement singulier, sont unanimement reconnus. Avec Le Roi et l’horloger, il ne déroge pas à cette réputation.
serge perraud
Arnaldur Indridason, Le Roi et l’horloger ( Sigurverkiδ), Métailié, coll. Bibliothèque nordique – Noir, février 2023, 320 p. – 22,50 €.