Avec trois portraits, trois femmes portant les prénoms de martyres célèbres, l’auteure met en scène la tragédie de la condition féminine dans le sud de l’Italie au XXe siècle. Ce sont Agata, Lucia et Rosalia, trois jeunes femmes qui vont subir de plein fouet le machisme régnant en maître.
Faisant un parallèle avec l’histoire des trois madones siciliennes que sont Santa Agata de Catane, Santa Lucia de Syracuse et Santa Rosalia de Palerme, elle construit trois parcours qui vont vivre des destins presque similaires, subir les violences imposées par un patriarcat, par la mafia.
Agata, au IIIe siècle, a été persécutée parce qu’elle a refusé les avances d’un proconsul. Celui-ci l’a envoyée dans un lupanar, un bordel, chargeant la tenancière de faire accepter le mariage. Face au refus, il la fait jeter en prison, torturer, les seins arrachés à la tenaille.
Lucia vit pendant les persécutions de Dioclétien. Elle a fait vœu de chasteté pour se consacrer à ses croyances alors que sa mère l’a promise à un jeune homme. Elle aussi doit être placée dans un lupanar, mais le Saint-Esprit rend son corps intransportable et indestructible. Elle aura les yeux arrachés et meurt d’un coup d’épée dans la gorge.
Rosalia, au XIIe siècle, se retire du monde dès l’âge de quatorze ans pour vivre de prières, de piété et de contemplations dans une grotte.
Agata est envoyée, par son père, dans un sanatorium, après l’assassinat de sa mère par son amant. L’adolescente étant en âge de se marier, il veut la soustraire au scandale et lui garder toute opportunité de trouver un époux. Mais elle va vivre recluse sur une île inhospitalière.
Lucia, à Naples en 1943 vit la libération de la ville par les Américains. La prostitution fleurit dans des lieux de rencontre. Par hasard, elle découvre un soldat allemand qui se cache dans les catacombes. Quand il sera découvert, elle se retrouve accusée d’avoir couché avec lui et tondue.
Rosalia a dénoncé les clans mafieux de son village. Elle va devoir vivre dans la clandestinité, se couper du monde sous le régime de témoins protégé.
Se plaçant sur un plan métaphysique, la scénariste décline le monde souterrain, les fantômes et les secrets. Elle dresse une sorte de fresque historique de cette région du sud de l’Italie entre les années 1910 avec Agata et l’après– Seconde Guerre mondiale avec Rosalia en faisant une pause en 1943 avec Lucia.
Elle dissèque la société sicilienne à travers la destinée de ces trois femmes subissant un sort infâme, broyées par la religion, les usages en vigueur inventés par les hommes et le secret.
Avec un trait spontané, libéré, Nine Antico trace à coups de pinceau ses histoires, s’autorisant toute permission, s’affranchissant des cases et de leurs limites pour mettre en scène la densité de son récit. Chaque portrait s’ouvre par une planche résumant le martyre de la sainte homonyme.
Et la couverture emprunte à un tableau célèbre, mais en brune.
Madones et putains se lit avec avidité tant le récit est fort, prenant.
serge perraud
Nine Antico (scénario, dessin et couleurs), Madones et putains, Dupuis, coll. “Aire Libre”, janvier 2023, 144 p. — 21,95 €.