Oscar de Muriel, Mort au couvent — Les Mystères de sœur Juana

Ah ! Dans les couvents…

Sœur Juana, l’héroïne de cette série de polars his­to­riques, est ins­pi­rée d’une authen­tique reli­gieuse, une femme hors du com­mun. Elle avait choisi d’entrer au couvent pour pré­ser­ver sa soif de connais­sances à une époque où le savoir était stric­te­ment réservé aux hommes.
Des aspects de sa vie et de sa per­son­na­lité res­tent dans l’ombre, ce qui offre à l’auteur une cer­taine liberté de mise en scène.

En pro­logue, en novembre 1688, la supé­rieure du couvent San Jeró­nimo est réveillée par une reli­gieuse qui lui annonce en trem­blant que c’est arrivé de nou­veau. Dans une cha­pelle, elles voient un éta­lage de sang et de restes humains.
C’est en octobre 1689 que Doña Marina, la com­tesse de Gijon, décide de pla­cer Alina, sa petite-fille rebelle, chez les hié­ro­ny­mites pour ne pas avoir à payer une dot trop impor­tante si elle se mariait. Le vieil Anto­nio Nuñez, qua­li­fi­ca­teur de la Sainte Inqui­si­tion, pense qu’elle serait mieux chez les car­mé­lites où le régime est plus sévère, lui-même rece­vant alors plus d’argent.

Et Alina, accom­pa­gnée de Matea, une jeune esclave indienne, entre au couvent comme novice comme on entre dans un tom­beau. Les pre­miers temps sont dif­fi­ciles pour la jeune fille habi­tuée à la liberté. Son atti­tude lui vaut des cor­vées impo­sées par la res­pon­sable des novices, une sœur tyran­nique et cruelle.
Elle se lie avec sœur Juana qui béné­fi­cie d’un sta­tut rela­ti­ve­ment pri­vi­lé­gié, femme de lettres recon­nue. Et une nuit, un meurtre est com­mis selon le rituel de la reli­gion indi­gène et Alina, Juana et Matea se lancent sur la piste de la cri­mi­nelle. Mais, dans un espace aussi clos qu’un couvent…

Après un pro­logue san­glant, le roman­cier ins­talle sa gale­rie de per­son­nages et détaille l’existence quo­ti­dienne dans les cou­vents à l’époque. Il expose la céré­mo­nie d’entrée d’une novice, le contenu des repas et leur orga­ni­sa­tion, le fonc­tion­ne­ment des cui­sines, la dis­ci­pline, les puni­tions et les vexa­tions, les rap­ports entre les reli­gieuses…
Si, pour Alina, le chan­ge­ment vers le dénue­ment est violent, pour Matea c’est tout l’inverse. Elle a un toit, de la nour­ri­ture en quan­tité, des vête­ments qui ne sont pas des hardes.

Paral­lè­le­ment, les élé­ments de l’intrigue se mettent en place avec des réfé­rences aux débor­de­ments de cer­taines reli­gieuses, aux rap­ports entre les croyances des autoch­tones et des croyances, toutes aussi sau­gre­nues, impo­sées par les Espa­gnols.
Les sacri­fices humains, une pra­tique bien éta­blie dans l’empire aztèque, ont donné lieu à sœur Juana l’occasion de s’exprimer sur le sujet dans au moins deux écrits, par­ti­cu­liè­re­ment dans Le Spectre de Joseph où elle montre les simi­li­tudes entre les deux religions.

Oscar de Muriel n’est pas tendre avec les reli­gieux, les décri­vant comme sales, dégoû­tants, avides, cruels, presque por­teurs de tous les défauts. Il brosse une gale­rie d’inquisiteurs tout à fait conforme au genre, d’une bêtise crasse.
Il fait appa­raître le poids de cette reli­gion romaine jusque dans les décou­vertes scien­ti­fiques lorsque Kepler, cet astro­nome génial,  est contraint, pour faire accep­ter ses tra­vaux sur le mou­ve­ment des astres, d’intégrer l’influence du Sei­gneur et le soleil comme la source divine.
Tous les plats cités au cours de cette enquête sont réels et tes­tés par l’auteur dans sa cuisine.

Mort au couvent, ce pre­mier volume de la série Les Mys­tères de sœur Juana, se révèle un roman par­ti­cu­liè­re­ment attrac­tif par l’univers dans lequel il fait plon­ger le lec­teur, par l’empathie que sus­citent ces trois remar­quables femmes, cha­cune dans leur domaine et part tout l’intérêt lié à l’enquête.

serge per­raud

Oscar de Muriel, Mort au couvent — Les Mys­tères de sœur Juana (Muerte en San Jeró­nimo), tra­duit de l’espagnol (Mexique) par Vanessa Cana­vesi, Les Presses de la Cité, coll. “Thril­lers”, février 2023, 352 p. — 16,90 €.

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