Galia Ackerman et Stéphane Courtois, dont la réputation n’est plus à faire, se sont entourés d’excellents spécialistes pour écrire cet ouvrage qui allie la fiabilité des informations et la clarté du discours.
A travers vingt et un chapitres bien documentés, les coauteurs exposent le parcours de Poutine, les mécanismes qui lui ont permis d’accéder au pouvoir et de se muer en dictateur, son idéologie et ses stratégies.
Naturellement, l’ouvrage nous renseigne aussi sur l’état des choses en Russie, et sur les raisons pour lesquelles l’opinion publique russe reste favorable au tyran et à la guerre en Ukraine. Le chapitre rédigé par Françoise Thom, “La création de l’Homo post-sovieticus : l’ingénierie des âmes sous Poutine“ est particulièrement instructif sur ce plan, expliquant étape par étape comment “Jirinovski et ses émules ont été l’instrument par lequel le KGB a transformé le peuple russe à son image“, détruisant “ce qui restait, au sein du peuple russe, d’immunité à la bassesse, à la méchanceté, à la brutalité, à la haine et à l’agressivité“ (p. 101).
Le chapitre qu’Yves Hamant consacre à l’argot chez Poutine est également très éclairant, et par endroits hilarant, même si son contenu a de quoi susciter la consternation.
On lira aussi avec profit “Poutine, les « guerres hybrides » et la déstabilisation de l’Occident“, de Nicolas Tenzer, qui fait partie des textes les plus idoines pour faire comprendre à ceux qui minimisent l’agressivité et l’influence du dictateur qu’ils se trompent.
Il s’impose de citer de nouveau Françoise Thom (chapitre 14) : “Le régime poutinien est né de l’osmose des forces organisées qui ont survécu à l’effondrement de l’URSS : les services spéciaux et la pègre. Sa politique étrangère est façonnée par cette double influence.“ (p. 246). Autrement dit, cette politique repose sur le recrutement, le racket et le chantage – à bon entendeur, salut.
Dans le même chapitre, on apprend qu’en novembre 2021, “Vladislav Sourkov, l’un des idéologues du régime, conseilla « l’exportation du chaos » pour stabiliser la situation intérieure en Russie : « L’expansion extérieure permet de remédier aux tensions intérieures » (p. 262), ce qui semble avoir échappé à nombre de commentateurs qui défendent, même aujourd’hui, l’idée que la Russie serait devenue agressive pour s’être sentie “humiliée“ ou “menacée“ par l’Occident.
Je n’ai qu’une seule critique à adresser au chapitre 15, rédigé par Cécile Vaissié : il comporte un passage revenant à douter que Kirill Serebrennikov soit un vrai dissident, et à lui reprocher le fait que La Femme de Tchaïkovski ait été partiellement financé par Roman Abramovitch (p. 271).
Il suffit de voir les œuvres de Serebrennikov pour comprendre ce qu’il est ; et s’il fallait proscrire tous les films faits avec de l’argent sale, on en viendrait à rejeter en bloc, entre autres, le cinéma soviétique et le cinéma chinois actuel, puisqu’il s’agit de productions financées par des systèmes totalitaires.
Cette remarque n’ôte rien aux mérites de l’ouvrage, amplement suffisants pour qu’on le recommande à tous, et qu’on le tienne dès à présent pour une somme incontournable, du niveau du Livre noir du communisme.
agathe de lastyns
Collectif, sous la direction de Galia Ackerman & Stéphane Courtois, Le Livre noir de Vladimir Poutine, Perrin/Robert Laffont, octobre 2022, 453 p. – 24,90 €.