“On ne voulait pas que je commence. Maintenant on ne veut pas que j’arrête !”
Après un premier tome qui racontait les débuts plus que difficiles du jeune Belge, le second s’ouvre sur la sidération provoquée par son annonce.
Au sommet de sa gloire, il arrête la scène.
Et le récit revient en décembre 1958, à Paris. Il se produit à l’Olympia, en première partie de Philippe Clay et il marque son passage par sa présence sur scène. Il a enregistré ses disques chez Philips. Cette société est aux mains de technocrates qui ne voient qu’études de marchés, stratégies commerciales, réductions des coûts et… augmentation du bénéfice. Ils rognent sur le nombre de musiciens, sur la durée en studio d’enregistrement. Ce n’est pas l’esprit de Jacques.
C’est Jacques Canetti qui lui fait rencontrer un nouveau producteur, Barclay. Les deux hommes s’apprécient et Jacques signe un contrat sans s’occuper des conséquences avec Philips. Ces derniers ne veulent pas le lâcher et menacent de procès. C’est Eddy qui va trouver une solution amiable.
C’est alors le vrai départ, les différentes étapes pour se faire un nom, gagner un large, très large public…
Dans cet album, le scénariste retrace la période où l’artiste commence à se faire un nom jusqu’à ce moment décisif dans sa carrière avec l’arrêt des tours de chant et des tournées. Il livre nombre d’anecdotes tant sur la vie professionnelle du chanteur que sur sa vie privée. Il révèle le pourquoi de la chanson Ne me quitte pas, ce succès mondial, comment il a fait cadeau de tous les droits de La Fanette à Isabelle Aubret…
Il raconte son ami Jojo, à la fois homme à tout faire, secrétaire, chauffeur, garde du corps, confident, compagnon de nuits agitées… Il expose le déroulement des tournées, les répétitions, l’attitude de l’interprète. Celui-ci présente une quinzaine de chansons presque sans pause, de façon rapide, intense, profonde, faisant ressentir toutes les émotions des textes. Ces tours de chant sont des combats où Jacques Brel livre toute sa force, toute son âme.
Rubio donne quelques repères quant aux relations de Brel avec les femmes, avec son épouse, ses filles, ses maîtresses. Et puis, c’est le dernier Olympia avec un choix de textes qui rappelle les idées qu’il défend, les positions vis-à-vis de lui, de l’homme, de l’enfant et de ses rêves, terminant par Les Vieux, tout un symbole.
Le graphisme est assuré par Sagar qui a un trait bien particulier, entre réalisme et caricature. La mise en couleurs est assez sombre. Si la mise en page est particulièrement dynamique, les deux doubles-pages illustrant son dernier Olympia sont superbes, mais c’est vraiment dommage qu’il assassine graphiquement Jacques Brel. La couverture échappe au massacre, le reste est difficilement acceptable. Si les silhouettes peuvent passer dans un souci de synthétiser des attitudes, les visages et les expressions sont justes insupportables.
Cependant, ce récit est attractif car il permet de retrouver ce personnage hors-normes à l’immense talent.
serge perraud
Salva Rubio (scénario), Sagar (dessin et couleurs) & Alnoa Regadera (assistante mise en couleurs), Brel — Vol. 2 : Une vie à mille temps, traduit par Eloïse de la Maison, Glénat, coll. “24x32”, novembre 2022, 64 p. — 15,50 €.