La vie d’Aliénor d’Aquitaine nécessiterait, selon l’auteure, plusieurs volumes, voire une encyclopédie, tant elle est riche et intense. Aussi, dans ce roman, elle décide de ne retracer qu’une petite partie de cette existence exceptionnelle, les premières années de la jeune femme depuis la mort de son père jusqu’à son retour de la seconde croisade.
Dans un prologue, la romancière donne la parole à son héroïne qui précise que ce qui suit est l’histoire de ses deux familles, celle d’Aquitaine et celle des infâmes Capétiens. Elle est, dit-elle, une meurtrière précoce car dès l’âge de huit ans, par un Oc (Oui), elle fait tuer deux de ses bourreaux.
À treize ans, elle apprend que son père, Guillaume X d’Aquitaine est mort dans d’étranges circonstances à Compostelle lors de son pèlerinage. Avec l’aide de Raymond de Poitiers, son oncle et amant âgé de vingt-deux ans, elle intrigue pour devenir l’héritière, place laissée vacante par le mort de Guillaume Aigret, son jeune frère.
Elle accepte d’épouser le fils de Louis VI le Gros, le roi de France, ces capétiens qu’elle abhorre depuis qu’elle a été violée à huit ans, prise par eux pour leur appartenir. Elle est persuadée qu’ils sont responsables de l’assassinat de son père. Mais les arcanes politiques et le désir exacerbé de venger la mort de Guillaume X lui font accepter ce mariage.
Pour l’écriture de ce roman, Eva Garcia Sáenz de Urturi a fait de longs séjours à Poitiers, Fontevraud, Bordeaux… pour retrouver le maximum de sources, de documents, d’informations. Elle a écumé les librairies d’occasions pour dénicher le livre rare qui traite d’une partie, plus ou moins détaillée, de la vie d’Aliénor, mais aussi de son environnement au sens le plus large du terme.
Elle a ainsi traqué toutes données sur les conditions de vie en Aquitaine, sur le contexte historique et social de la période, sur la langue employée et le lexique médiéval. Elle a exploré le fonctionnement du duché au quotidien. Elle s’est passionnée pour le personnage de Louis VII, dit Louis VII le Jeune, et son caractère hypersensible. Elle montre les difficultés que pouvait rencontrer quotidiennement une personnalité hautement sensible contrainte de régner contre son gré.
Outre ces apports historiques, elle mène une intrigue subtile intégrant les grands acteurs de cette époque comprise entre 1137 et 1149. C’est ainsi que gravitent l’abbé Suger, le faiseur de roi, l’antipape Anaclet, Bernard de Clairvaux, le père et le grand-père de l’héroïne, son oncle… Elle relate les frasques de ces seigneurs tant laïcs que religieux, les douleurs qu’ils infligeaient en se croyant tout permis. Le poète peut disparaître pour laisser place à un cruel personnage.
Et vient le moment où, pour les besoins de la narration, l’intrigue s’écarte de la réalité des faits pour le plus grand plaisir de la lecture et des suites quand on cherche à démêler le vrai du modifié.
Ce livre a remporté le prix Planeta en 2020. Mais ce n’est pas un hasard car, structuré de belle manière il se révèle d’un intérêt primordial pour mieux comprendre les choix, les décisions de cette femme exceptionnelle.
serge perraud
Eva Garcia Sáenz de Urturi, Aquitania, traduit de l’espagnol par Judith Vernant, Fleuve éditions, coll. “Roman historique”, octobre 2022, 384 p. – 21,90 €.