Un travail de narration original sur un récit poignant
Avec cet album, les auteurs abordent un sujet d’une actualité quasi quotidienne. Les migrants, ces réfugiés qui tentent de survivre dans des contrées qu’on leur a décrites comme un pays de cocagne, portent une large part de l’intrigue.
Leyli Maal s’est mise en route très tôt pour négocier un nouvel appartement. Elle voudrait, à la place de son F1, un cinquante mètres carrés pour loger ses trois enfants. Elle a un travail en CDI.
Presque au même moment, dans une chambre du Red Corner, Bamby bande les yeux de François pour pimenter des jeux amoureux. Quelques heures plus tard, le commandant Petar Velika et le lieutenant Julo Flores, sur les lieux, examinent un corps exsangue. Ils sont intrigués, on lui a fait une prise de sang avant de le tuer. Le mort est vite identifié. Il pilotait le service financier de Vogelzug, une association d’aide aux réfugiés. Petar Velika s’inquiète alors car les emmerdements ne font que commencer. Près du cadavre, les policiers ont trouvé six coquillages et un bracelet rouge déchiré.
L’amie étudiante de Bamby, la fille de Leyli, qui habite l’étage du dessous, se plaint de la musique forte qui l’empêche de travailler ses cours. Mais, en face, un homme soutient que la musique ne le gêne pas. Il s’introduit timidement dans la vie de Leyli. Elle lui raconte une partie de sa vie, se gardant de dévoiler certains pans comme son trésor, son secret…
La vidéo de l’hôtel a filmé l’arrivée du couple. La femme porte un foulard avec des motifs de chouettes et fixe l’objectif avec défi tout en gardant une large partie de son visage dans l’ombre.
Julo Florès, avec le zèle de la jeunesse traque sur tous les réseaux ce visage entrevu. Il ne peut croire que cette jeune femme soit une criminelle. Mais quand un nouveau cadavre est découvert dans des conditions similaires…
Dans ses romans, Michel Bussi tisse une intrigue où l’humanisme est toujours très présent. Avec On la trouvait plutôt jolie, il ne manque pas de le faire pointer les côtés douloureux de ceux qui doivent vivre de telles situations. Très documenté, son récit intègre nombre d’éléments factuels sur le sujet.
Ainsi, il fait raconter par Leyli son périple de plusieurs années entre Segou, au bord du grand fleuve Niger, et Marseille, les dangers et les pièges sans nombre, les contraintes à subir, les horreurs à vivre, les viols, la corruption, l’ignominie de certains humains.
Il place, dans la bouche de ses personnages, quelques vérités, pointe des dysfonctionnements, des incohérences administratives si chères au droit français : “Les pauvres doivent avoir la chance de vivre dans un pays en guerre pour pouvoir rester chez nous. [… ] Et ne me demandez pas pourquoi on a le devoir d’accueillir un gars qui crève de peur chez lui et pas un gars qui crève de faim.“
Il décrit ces “rubans de Moebius” tissés avec une accumulation de textes qui finissent par se contredire, ce qui fait, d’ailleurs, le bonheur de quelques avocats retors devant les tribunaux.
Bussi dénonce les fausses émotions transmises par ces médias assoiffés de faits divers sanglants, les hypocrites qui versent des larmes de crocodile : “L’expérience lui avait appris que les cadavres bien frais sont l’ingrédient principal de la recette de la compassion humanitaire.” C’est aussi la dénonciation du profit, les marchés juteux que représente l’immigration.
En quatre jours et trois nuits, du désert sahélien à la jungle urbaine de Marseille, du Maroc à Port-de-Bouc, l’album dépayse en offrant une vision novatrice par un regard aigu sur les sociétés qui se partagent ces espaces.
Joël Alessandra assure l’adaptation en album et la mise en images à l’aide d’aquarelles d’une fraîcheur remarquable. Il restitue magnifiquement l’esprit du roman, les points forts, les éléments essentiels de l’intrigue et donne à lire une histoire sur l’immigration et le déracinement poignante.
serge perraud
Joël Alessandra (scénario d’après le roman de Michel Bussi, dessin et couleur), On la trouvait plutôt jolie, Éditions Michel Lafon, septembre 2022, 144 p. – 22,95 €.