Un modèle de téléréalité infernal !
Zombillénium, comme son nom ne le laisse pas préjuger, est un parc d’attractions atypique. Le personnel est composé de monstres engagés pour l’éternité. Les visiteurs humains ignorent que leur âme, tant qu’ils sont dans les lieux, appartient à Behemoth, l’entité diabolique propriétaire du parc.
La saga s’articule autour de trois principaux acteurs à savoir, Gretchen Webb, l’héroïne, une sorcière dont le balai est monté sur un skateboard. Sa mère est enchaînée dans le tréfonds du parc et son père n’est autre que Behemoth. Elle a vécu avec Aurélien Zahner, un humain mort dans un accident de la route, qui peut prendre la forme d’un diable impressionnant sous le nom de Baphomet. Lucie/Charlotte est devenue l’ennemie jurée de Gretchen, une rivale adepte du vaudou et de la perfidie.
Autour de ce trio gravitent Astaroth l’amoureux transi de Gretchen, Léonie une policière, Behémond Jaggar de Rochambeau, un vrai méchant et toute une série de personnages secondaires des plus intéressants.
La devise officielle est l’âme. La richesse, donc le pouvoir, se compte en nombre d’âmes possédées.
The Hell Economics place sur sa Une un camembert montrant la répartition des capitaux. Aucun actionnaire n’a la majorité pour diriger le Parc. Si Behemoth en possède le plus, il est talonné, à quelques unités près, par Baphomet. Il ne reste qu’une seule solution, lancer le Sabbat Grand Derby. Ce jeu, qui s’inspire de la téléréalité, met en compétition des sorcières qui s’affrontent pour s’approprier les âmes des humains retenus prisonniers et augmenter le capital de leurs sponsors. Tous les coups sont permis.
Cependant, Gretchen veut réaliser le plan conçu avec Aurélien pour libérer les âmes et par conséquent, libérer sa mère. Elle va devoir entrer dans l’arène. Mais la concurrence est rude dans ce jeu violent…
Cet album, le sixième de la série, est présenté comme le grand final, un récit qui doit clore les luttes que se livrent différentes couches de cette société infernale. En effet, la lutte des classes est un des thèmes majeurs de la série. C’est la description de l’exploitation des monstres par des patrons assoiffés de profits. Avec son récit démoniaque, Arthur de Pins donne une critique virulente contre le capitalisme et la société de consommation qui en résulte.
S’il choisit les environs de Valenciennes pour implanter son parc, ce n’est pas uniquement parce que le terrain s’y prête comme le climat, mais parce que c’est un haut-lieu des luttes sociales. C’est le cadre, par exemple, de Germinal, le terrible roman d’Emile Zola.
Le scénariste propose de nombreuses femmes fortes pour faire vivre son récit. Il estime important que ces femmes s’affirment, que ce soient Gretchen, Léonie, Charlotte dans ce monde que les démons masculins veulent dominer. Il place beaucoup d’humour, tant dans les répliques, les dialogues enlevés que les situations.
Le graphisme est particulièrement attrayant avec ce côté réaliste mettant en images une kyrielle de monstres, dont certains sont attachants. L’auteur n’hésite à dessiner des foules et offre des décors de toute beauté, le tout renforcé par une colorisation des plus justes.
Une série atypique qui vaut le détour pour l’innovation et la créativité dont fait preuve Arthur de Pins et pour la manière dont il développe des thèmes tout à fait d’actualité dans cette civilisation occidentale.
serge perraud
Arthur de Pins, Zombillénium — t.06 : Sabbath Grand Derby, Dupuis, coll. “Tous Publics”, octobre 2022, 56 p. — 14,95 €.