Frasse Mikardsson, Je crois que j’ai tué ma femme

Une fata­lité ces féminicides ?

Outre son acti­vité de roman­cier (Autop­sie pas­to­rale — l’aube 2021), Frasse Mikard­sson est doc­teur en éthique médi­cale. Après avoir beau­coup œuvré en méde­cine légale en Suède, il exerce en France. Il a par­ti­cipé à l’histoire qu’il met en scène, ayant été sur les lieux du crime pour l’examen du corps de la vic­time. Par la suite, il l’a autop­sié dans le ser­vice de méde­cine légale de Stock­holm.
Cette affaire est jugée, il n’y a plus d’appel pos­sible. L’auteur a uti­lisé les docu­ments acces­sibles, d’une manière ou d’une autre, au grand public. Il peut donc pro­po­ser ce récit sans vio­ler un quel­conque secret d’enquête. Les noms, les dates, ont été modi­fiés mais la chro­no­lo­gie des faits a été respectée.

Le ven­dredi 17 février 2017, vers 14 heures, Burcu reçoit, sur son por­table, un appel d’Orhan, son beau-frère. J’ai blessé, j’ai tué ma femme dit-il. Elle croit à une plai­san­te­rie. Mais, il insiste : J’ai tué Fatiha. Il lui demande d’intercepter Cengo qui rentre de l’école. Il ne doit pas voir ce qui s’est passé. Une minute plus tard, il tient le même dis­cours à sa mère qui se pré­ci­pite. Puis il appelle le 112 et donne l’adresse, 66 che­min du Bon­heur à Märsta.
Sara Israels­son, l’interne de méde­cine légale de garde, est au res­tau­rant avec l’homme qui par­tage sa vie. Il lui demande de l’épouser, ce qu’elle ne veut pas. L’appel d’Ann-Katrin, la tech­ni­cienne de la police scien­ti­fique d’astreinte, la délivre. Sur place, elle découvre le corps d’une femme lardé de dizaines de coups de cou­teau. La lèvre supé­rieure et le nez ont été coupés.

Si la culpa­bi­lité de l’époux ne fait aucun doute, il a déjà été condamné pour vio­lences et son épouse avait obtenu l’éloignement, les enquê­teurs veulent déter­mi­ner s’il a agi dans un moment d’égarement ou s’il y a pré­mé­di­ta­tion.
Et c’est le récit du dérou­le­ment de l’enquête depuis les pre­mières consta­ta­tions dans l’appartement, les témoi­gnages des dif­fé­rents inter­ve­nants, les procès-verbaux des ser­vices, les retours dans le passé, l’examen des dos­siers déjà réa­li­sés, le recen­se­ment des plaintes…

Le cours de cette enquête est l’occasion de sou­le­ver nombre de ques­tions sur la société sué­doise, sur les ins­ti­tu­tions et leur fonc­tion­ne­ment, sur l’immigration et l’intégration de ces migrants dans un modèle de société bien dif­fé­rent.
Orhan Kan­de­mir est Kurde. Il y a treize ans, il a épousé Fatiha en Tur­quie. Ils ont deux enfants. Les vio­lences ont com­mencé assez récem­ment. Un des reproches qu’il fait à Fatiha est le port, lors du mariage de son frère, d’une robe ne cou­vrant pas les épaules. Une robe qu’une pros­ti­tuée aurait pu choi­sir !
Inter­vient alors le « culture de l’honneur », cet hon­neur que la femme aurait sali en met­tant des vête­ments inap­pro­priés. Mais inap­pro­priés à quoi ? À gom­mer la femme, sa per­son­na­lité, la trans­for­mer en fan­tôme ? La honte, tou­te­fois, n’est pas sur la femme, sur son corps, mais sur les élé­ments mas­cu­lins de ces socié­tés qui voient dans la ser­vi­tude de la femme l’honneur de l’homme.

Paral­lè­le­ment se posent de mul­tiples ques­tions sur l’immigration, sur l’intégration de ces per­sonnes compte tenu des souf­frances qu’elles ont pu endu­rer avant d’arriver en Suède. Le roman­cier intègre, dès le début, une inter­ven­tion cala­mi­teuse de Donald Trump sur la Suède et la vague de crimes qui s’abat sur ce pays ouvert à l’immigration.
Mais, c’est aussi l’illustration des dif­fi­cul­tés à pro­té­ger les femmes sou­mises aux vio­lences conju­gales, que celles-ci viennent d’un type de société où elles sont oppri­mées ou de la seule bru­ta­lité d’individus.

Avec la des­crip­tion détaillée et docu­men­tée d’une enquête pour fémi­ni­cide, Frasse Mikard­sson dévoile les tra­vers d’une société et décrit les sombres mani­pu­la­tions des­ti­nées à la fragiliser.

serge per­raud

Frasse Mikard­sson, Je crois que j’ai tué ma femme, Édi­tions de l’aube, coll. “Aube Noire”, octobre 2022, 280 p. — 18,50 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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