André Malraux en héros de comédie
Au Havre, en ce mois de décembre 1962, la presse se bouscule près du France pour assister au départ de la Joconde pour les États-Unis. Elle est accompagnée, entre autres, par André Malraux, Ministre d’État de la Culture. Le tableau sera exposé à Washington et à New York. Ce prêt est destiné à revivifier les relations entre les deux pays. Toutes les précautions sont prises pour que l’œuvre voyage dans les conditions optimales de sécurité. Elle est placée dans une cabine de 1ère classe.
Le Ministre se claquemure dans sa cabine car il est souffrant, mais au prétexte de préparer son discours de Washington devant le couple Kennedy. Lors du dîner à la table du commandant, Malraux veut éblouir une jeune fille issue d’une famille d’industriels et l’emmène voir la Joconde. Or, le tableau n’est plus dans son sarcophage.
Commence alors une traque tous azimuts pour mettre la main sur la fugitive. Le paquebot entier est fouillé, sans succès, jusqu’à ce que…
À partir d’une situation authentique, les scénaristes jonglent avec l’Histoire et certains de ses personnages pour une farce historico-comique qui bouscule nombre d’images. Le personnage central est bien sûr André Malraux, fait Ministre d’État par de Gaulle. S’il reste dans les mémoires pour ses romans, sa passion pour les œuvres d’art et son célébrissime discours lors de l’entrée de Jean Moulin au Panthéon, il fut un individu complexe.
Son existence n’est sans doute pas à la hauteur de la légende qu’il s’est créé. La lecture des Antimémoires est révélatrice de la mythomanie qui l’animait. Les auteurs souhaitaient le transformer en personnage de comédie sans pour autant être irrespectueux, le rendre ridicule.
C’est à partir des vidéos disponibles à l’INA qu’ils s’imprègnent de la personnalité, un individu pluriel qui a vécu des événements familiaux tragiques.
Autour de lui gravitent une belle brochette de protagonistes authentiques. On retrouve Barbara au piano, Herbert von Karajan…
Les scénaristes placent quelques remarques sur le passé du héros comme, par exemple, lorsque la conservatrice en chef évoque un pilleur de trésor ou une entrée en résistance tardive…
Hervé Tanquerelle est un artiste au dessin protéiforme. Son trait s’adapte à l’esprit du scénario qu’il est chargé de mettre en images. À la lecture de celui-ci, compte tenu de l’humour qui se dégageait, c’est tout naturellement qu’il a été vers un dessin proche de celui d’Hergé pour Tintin. Il montre un Malraux dans ses œuvres aussi vrai que nature. Il porte un soin particulier aux décors sur le France.
Isabelle Merlet assure, comme à son habitude, une mise en couleurs impeccable. Son travail de création pour rendre l’atmosphère qui devait régner sur le paquebot, les teintes en usage à l’époque, est remarquable. Elle donne ainsi, au dessin une dimension supplémentaire jonglant entre intensité et subtilité.
Avec cet album, les auteurs proposent une histoire attrayante pour les personnages mis en scène, pour l’intrigue agréable et pour l’humour omniprésent.
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serge perraud
Franck Bourgeron (scénario), Hervé Bourhis (scénario), Hervé Tanquerelle (dessin) & Isabelle Merlet (couleurs), Le Ministre et la Joconde, Casterman, septembre 2022, 88 p. – 20,00 €.