Pour son livre, le romancier prend pour cadre le monde des sites d’informations logés sur des réseaux sociaux. Il détaille la façon dont ils sont exploités, la manière dont travaillent les journalistes, le fonctionnement interne de ces rédactions, les contraintes et la déontologie approximative qui anime les responsables. Il faut de l’audience à n’importe quel prix. C’est à la fois passionnant pour la découverte de l’envers du décor et effrayant par la qualité relative des informations diffusées.
Parallèlement, il fait découvrir la fragilité de la vie privée quand on est en possession d’un ordinateur, d’une tablette ou d’un téléphone connecté. L’héroïne en fait les frais de façon terrible. Certes, on peut rétorquer qu’il s’agit de l’intrigue d’un roman où l’auteur peut imaginer des actions plus facilement réalisables que dans la réalité. Mais, il le fait de telle manière qu’on ne peut, exemples réels à l’appui, qu’en constater la véracité.
Leon Nowiński, au volant de sa petite Škoda est en retard pour sa réunion. Il roule vite mais, soudain, un puissant 4x4 veut le dépasser. Lorsqu’il le peut, le bolide accélère encore et enfonce une barrière de sécurité, tombant quelques quinze mètres plus bas. Les policiers sur les lieux de l’accident reconnaissent dans le cadavre Ryszard Buxzek, M. Pistache, la vedette d’une émission pour enfants qui cartonne à la télévision.
Julita Wójcicka est journaliste chez Meganews, un tabloïd du Net. Elle est satisfaite car son nouvel article suscite l’intérêt. La mort de la vedette de télévision déclenche un raz-de-marée sur les chaînes d’informations. Tout est bon, son passé, ses débuts, ses émissions, sa vie… Julita se fend d’un article qui rencontre du succès. Mais, elle est troublée par quelque chose qu’elle a vu sur les photos à sa disposition. En cherchant bien, elle s’aperçoit que les doigts du mort sont très abimés.
Elle décide de poursuivre ses investigations car elle pressent quelque chose d’anormal. Elle retrouve Leon qui, sous la pression de Julita, mobilise sa mémoire. Il lui revient que Buczek pleurait au volant de sa voiture lorsqu’il l’a dépassé. Elle s’engage alors dans une enquête qui va lui faire perdre son emploi et la mettre en grand danger car…
Jakub Szamałek place son récit en Pologne, à Varsovie, décrivant, à travers une galerie riche en personnages, la vie dans le pays, les obstacles quotidiens de ses habitants, les difficultés de logements, d’emplois, les bas salaires, ce qui explique en partie la dispersion de travailleurs polonais à travers l’Europe.
La police et la justice ne sont pas épargnées par les coups de griffe de l’auteur, celui-ci dénonçant la perversité de ces structures.
La tension monte très vite après que Julita cherche à prouver qu’il ne s’agit pas d’un banal accident, que cette mort cache de profondes et dangereuses connexions. Avec elle, le lecteur pénètre dans les arcanes du dark net, de ces réseaux occultes où le pire côtoie le pire.
Avec ce premier volet, Jakub Szamałek livre un thriller brillant, une intrigue portée de belle manière par une héroïne attachante. Il suscite crainte et peur en montrant que les données personnelles de chacun ne sont jamais à l’abri d’un piratage et enfonce encore le clou en précisant, en avant-propos, que son roman n’est pas de la science-fiction.
serge perraud
Jakub Szamałek, Tu sais qui (Cokolwiek wybierzesz), traduit du polonais par Kamil Barbarski, Métailié, coll. “Autres horizons” — Noire, septembre 2022, 464 p. — 22,90 €.