Le troisième volet d’une belle série
Serge le Tendre voue, depuis ses plus jeunes années, une passion pour des héros de la mythologie grecque. Il a déjà mis en scène de ces personnages qui portent en eux une part d’humanité. Et, c’est cette humanité qu’il veut mettre en avant explicitant leurs passions, leurs échecs, leurs victoires, leurs tâtonnements.
C’est cet univers qu’il explore, entre autres, depuis plusieurs années, commencé avec Tirésias, La Gloire d’Hera. Ces deux albums sont réédités chez Dargaud dans la nouvelle collection Mythologies.
Dans une hutte entourée de hautes murailles, Thésée et Asterios discutent après s’être combattus. Asterios a blessé le jeune prince mais porte une large lésion au flanc droit. Il accepte un nouveau combat lorsqu’il lui aura raconté l’histoire de Dédale, une histoire qui est aussi la sienne, celle du Minotaure.
À Athènes, le génie créatif et artistique de Dédale est reconnu. Pourtant, depuis plusieurs mois, il est en panne. Il pense que son neveu veut le supplanter. Lors d’une dispute, il le fait tomber d’une muraille. Sur les conseils d’un proche, il fuit pour ne pas être accusé d’homicide.
C’est ainsi qu’il arrive en Crète au moment où Minos attend que Poséidon le consacre roi en faisant surgir un taureau des eaux. Ce qui arrive !
Mais Minos ne tient pas ses promesses et Poséidon se venge. Pasiphaé, l’épouse du nouveau roi, est amoureuse du taureau et s’accouple avec lui, enfantant quelques mois plus tard d’un garçon avec une tête de taureau.
C’est Dédale qui reçoit la charge de l’élever. Mais en grandissant, Asterios pose de gros problèmes…
Le mythe du Minotaure, à qui on livre chaque année douze jeunes gens d’Athènes pour apaiser le courroux des dieux, est repris mais très humanisé, bien que l’absence d’humanité n’est pas où on peut le penser.
Le Minotaure de Serge Le Tendre est un être considéré comme monstrueux avec cette tête de taureau plantée sur un corps humain. S’il a été renié dès sa naissance par sa mère, éloigné par le roi, il a connu une enfance heureuse au sein de la famille fondée par Dédale dans son exil en Crète. C’est en grandissant qu’il ressent le rejet, le dégout chez les autres. Son attitude amène la décision de l’isoler, le soin étant laissé à Dédale de concevoir un lieu où il ne pourrait plus paraître aux yeux des populations.
En mêlant intimement la vie de l’architecte à celle de cet être difforme, le scénariste propose un récit d’une belle humanité avec un dénouement où l’image de ceux qui sont entrés dans l’Histoire comme des héros, comme Thésée, n’en sort pas grandie. Il pose aussi la responsabilité des adultes, de ceux qui participent à la mise au monde d’êtres difformes qui ne seront que des souffre-douleurs.
Derrière l’histoire du Minotaure, c’est celle de ces victimes dont on aurait pu éviter, d’une manière ou d’une autre, l’arrivée dans la société humaine. Dans ce récit, la vie de cet être mal formé, voué à la solitude et au mépris, est très lié à celle de Dédale, cet architecte célèbre pour son labyrinthe et ses ailes permettant de voler.
Les personnages prennent vie par le dessin et la mise en couleurs de Frédéric Peynet. Avec un trait délicat, d’une belle efficacité pour faire exprimer les émotions, les sentiments de la galerie de protagonistes. Il met en œuvre des couleurs lumineuses qui rappellent celles des lieux où se déroulent le récit. Mais, si le graphisme est très plaisant à regarder, il n’occulte pas la tragédie qui se déroule.
Serge Le Tendre annonce qu’il a, sous le coude : “…d’autres récits dans lesquels les mythes anciens et modernes s’affronteront…” Ce Minotaure montre une belle facette du personnage dans un récit séduisant soutenu par une mise en images du plus bel effet.
serge perraud
Serge Le Tendre (scénario) & Frédéric Peynet (dessin et couleur), Asterios, le Minotaure, Dargaud, coll. “Mythologies”, août 2022, 72 p. — 16,50 €.