Comme l’écrit avec justesse Olivier Forlin, dès son introduction, le sens du mot fascisme a été galvaudé par « l’usage polémique, à des fins politiques, qui en a été fait et qui continue, certes à un degré moindre qu’autrefois, à en être fait. » Il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir les journaux. C’est pourquoi l’auteur fait un travail salutaire en analysant, d’une manière scientifique, la ou les définitions du fascisme, la manière dont l’historiographie, depuis l’émergence du mouvement, a essayé de le comprendre et la place qu’il occupe dans la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Même si, on s’en doute, le fascisme italien occupe une plan prépondérante dans le livre, le parallélisme avec le cas français permet de saisir certaines questions ô combien brulantes dans la mémoire française.
L’ouvrage est organisé par thèmes d’étude (fascisme ou des fascismes ?, fascisme et totalitarisme, fascisme et antisémitisme, etc.), ce qui permet des études approfondies. Mais à chaque fois l’analyse suit le fil chronologique, tant les contextes pèsent sur chacune des périodes prises en compte : celle des luttes politiques, du refoulement mémoriel, des renouvellements historiographiques des années 1960–70, des virulents débats entre chercheurs de différentes disciplines, et au sein même de certaines d’entre elles.
Olivier Forlin jette une lumière en fait indispensable sur le fascisme et tous les travaux historiques qu’il a suscités. Certains seront surpris d’apprendre que la nature totalitaire du fascisme n’a pas toujours été évidente pour tout le monde, que sa proximité, et même sa convergence avec le national-socialisme, reste parfois sujette à caution. Et beaucoup découvriront le lent chemin qui a permis d’en saisir la nature révolutionnaire, caractéristique qui le différencie des courants réactionnaires ou conservateurs. Plusieurs questions continuent d’alimenter les débats historiographiques. C’est le cas du problème de l’antisémitisme introduit officiellement en Italie à la fin des années 1930.
La qualité majeure de cette étude réside, selon moi, dans le ton de l’auteur. Sur une question aussi brûlante, il conserve une distance scientifique absolument remarquable, s’effaçant derrière son sujet, laissant parler les auteurs qu’il cite avec abondance sans les juger, se contentant de les critiquer d’une manière purement historique. Bref, il ne fait pas la morale. C’est devenu si rare aujourd’hui qu’il faut bien le souligner.
frederic le moal
Olivier Forlin, Le fascisme. Historiographie et enjeux mémoriels, La Découverte, avril 2013, 26,00 €