Un vrai mode d’emploi du coup d’État
Le romancier installe un processus qui semble imparable. Une partie de l’armée, de la classe politique rejettent le résultat des urnes. Des groupuscules réalisent une série d’actes de vandalisme, d’attentats pour fragiliser le pouvoir. L’intrigue se déroule dans les lieux de pouvoir, de Matignon à l’Elysée, du Palais du Luxembourg au Conseil constitutionnel, de la DGSI à Sciences Po…
Les putschistes profitent du moment où la vie est presque suspendue pour cause de congés, quand les responsables sont éparpillés dans des endroits de détente, les administrations tournent au ralenti.
Ce 25 avril, la France a élu Martine Bordas, une présidente de la République de gauche. Elle l’a emporté de justesse sur la candidate d’extrême-droite.
À la direction de la DGSI, Virginie Trinh Duc s’inquiète sérieusement. La situation est tendue.
L’élection s’est tenue dans un climat de quasi-guerre civile. Certains estiment l’élection volée, multipliant les polémiques médiatiques. La parution d’une tribune de militaires appelant à une quasi-insurrection lui fait craindre le pire. Elle estime qu’il est grand temps d’agir.
La capitaine Nina Miriem, nouvellement intégrée à la DGSI, est appelée en renfort au Conseil constitutionnel pour la publication des résultats. C’est après les élections législatives que la situation se dégrade vraiment.
Alors qu’il se désole à la lecture de Valeurs actuelles, le lieutenant-colonel Guillaume de Mirepoix est approché par un homme. Celui-ci se présente comme Monsieur Alexis et lui propose de l’aider à faire valoir ses convictions de patriote.
Et des actions commandos sont conduites. Plusieurs bâtiments officiels sont vandalisés. Des tags s’étalent sur des devantures. Martel 732 est inscrit en majuscule sur les lieux emblématiques.
Un attentat contre la présidente de la République, en vacances à Brégançon, pousse la présidente du Sénat à prendre les rênes d’un comité de Salut public…
Si Frédéric Potier donne une belle image de l’enchaînement des faits, il conçoit une série de personnages qui retiennent tous l’attention, dans le bon ou le mauvais sens, que ce soit pour le maintien de l’État de droit ou pour un changement radical. Ils sont terriblement crédibles et s’inspirent du sérail qui sévit actuellement.
Il les présente de façon attractive, développant leur passé et le parcours qui les place dans la situation qu’ils occupent. C’est ainsi qu’il met en scène une présidente de la République, du Sénat, un Premier ministre atypique et des militaires loyaux et félons. Gravitent autour de ces élus des serviteurs de l’État, ceux qui sont nommés pour défendre les institutions.
Le romancier donne une belle place aux personnages féminins puisque ces dames sont majoritaires dans les hautes places de cette histoire. Il nourrit son intrigue avec nombre d’informations sur le fonctionnement de ces institutions, sur des protocoles.
Prenant le prétexte d’une session estivale de cours en faculté, il fait décortiquer par une enseignante-chercheuse une dizaine de coups d’États célèbres, ceux de l’histoire ancienne ou récente, même très récente puisqu’il évoque, à plusieurs reprises Trump, sa tentative contre le Capitole.
Il développe les arguments des félons, comme le remplacement et donne au mouvement le nom de Martel 732, une signification limpide. Il présente les motivations des protagonistes du drame, leurs arguments, qu’ils soient recevables ou non dans une démocratie.
Mais l’auteur implique sans détour la Russie qui, depuis son ambassade de Paris, se mêle d’agir sur la politique française avec le déclenchement d’une opération.
Il use d’un humour acide, multipliant des remarques, des annotations sur la société française et son mode de gouvernance. Ainsi, par exemple : “…l’ouverture d’esprit n’étant pas la chose la plus partagée dans l’appareil d’État français…” ou “Dans le millefeuille territorial qui fait le charme de l’administration française.“
Il distille nombre de références reprenant des propos de Malraux, Voltaire, Montaigne…
Frédéric Potier, qui œuvre dans le milieu gouvernemental, en connaît bien le fonctionnement et donne un roman fort documenté, à l’intrigue qui tient en haleine, glaçant à souhait.
serge perraud
Frédéric Potier, La menace 732, L’aube, coll. “Noire”, mai 2022, 352 p. — 19,90 €.