Un conte horrifique de belle tenue
Diego Agrimbau propose un conte horrifique, mettant en scène les principaux codes du genre. Dans un contexte de guerre où la vie ne vaut plus grand-chose, il place trois enfants dans un orphelinat dont tous les autres occupants sont morts. Des corps restent visibles et les esprits des enfants sont dans les poupées qu’ils affectionnaient. Il ajoute une dose de cannibalisme et un individu exécrable qui terrorise deux êtres désarmés.
Avec ces éléments, plus quelques autres, le scénariste livre un récit glaçant et implacable, menant aux portes de l’aberration, aux limites du soutenable. Dense, construite et fluide, cette histoire est portée par des personnages très convaincants tant dans le délire que dans la détresse. Et le fait que ce soit des enfants renforce l’impression d’horreur. Certaines scènes sont très explicites.
Quelque part en Europe, en 1917, Ofelia et Otto, deux enfants secourent un soldat blessé. Ils l’emmènent en lui proposant un repas. Lorsqu’ils arrivent dans une grande bâtisse, ils sont accueillis par un gros garçon qui se présente comme Maurice Nurk, le fils des directeurs de l’institution.
Alors qu’on lui apporte un plateau sur lequel est disposé… un oreiller, Maurice, par derrière, décapite le soldat et récupère les yeux pour sa collection. Les enfants subsistent en mangeant les combattants isolés qu’ils récupèrent.
Ofelia est épuisée mais entièrement sous la coupe d’un Maurice cruel et tyrannique. Otto, le petit frère d’Ofelia, veut résister et cherche désespérément Momo. Sa sœur lui redit qu’il est mort… comme tous les autres de l’orphelinat. Otto a peur des poupées entassées dans une pièce, des poupées aux yeux vides qui lui parlent.
Maurice voudrait se débarrasser d’eux mais il attend d’avoir assez de viande en réserve. Et quand un avion est abattu, que la sœur et le frère récupèrent le pilote…
Juan Manuel Tumburús, par son graphisme réaliste, n’omet aucun détail. Son dessin est minutieux tant pour les protagonistes que pour les décors et paysages. Il met en valeur les visages avec une attention toute particulière pour les regards, ces regards que l’on dit être le miroir de l’âme.
Il fait ressentir avec force la peur, la folie ou la résignation. Cette atmosphère difficile est renforcée par une mise en couleurs très sombre.
Les Yeux perdus est un album à la fois fascinant et lugubre, mais si réaliste avec les ignominies que l’être humain est capable de commettre.
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serge perraud
Diego Agrimbau (scénario) & Juan Manuel Tumburús (dessin et couleur), Les Yeux perdus, traduit de l’espagnol — Argentine — par Christilla Vasserot, Dargaud, mai 2022, 80 p. — 16,50 €.