Appollo & Brüno, T’Zée — Une tragédie africaine

Les der­niers moments d’un régime corrompu

Appollo conjugue avec brio l’histoire récente de la RDC (Répu­blique Démo­cra­tique du Congo) avec des élé­ments de Phèdre, cette tra­gé­die clas­sique de Jean Racine.

Modeste gère la pro­priété pré­si­den­tielle et fait part à Hip­po­lyte de ses consta­ta­tions. Les ani­maux dis­pa­raissent. Ils sont chas­sés et reven­dus par le per­son­nel, celui-ci n’étant plus payé depuis des mois. Il ajoute que T’Zée ne revien­dra pas, ce qui offusque Hip­po­lyte, le der­nier fils du Président-maréchal. Ils sont sur Gbado, appe­lée aussi L’île du bout du fleuve, où le dic­ta­teur a fait construire, à par­tir de rien, un palais luxueux, un aéro­port, un port…
Et la guerre éclate dans l’Est du pays. Des rebelles, des sol­dats gou­ver­ne­men­taux, des vil­la­geois se livrent des com­bats, mais tous pillent, violent, assas­sinent… Pour la mettre à l’abri, T’Zée a envoyé Bobbi, sa jeune épouse, à Gbado où se trouve déjà Hip­po­lyte. Ce der­nier pense qu’elle le hait.
Ils vivent les ultimes moments d’un régime cor­rompu. T’Zée pri­son­nier a été annoncé mort. Il réap­pa­raît cla­mant qu’il est immor­tel !
Mais, pour Bobbi, le drame est en elle, bru­lée par un amour impos­sible et monstrueux…

En cinq actes, Appollo raconte les der­niers jours du régime de T’Zée, vus essen­tiel­le­ment depuis ce palais perdu dans la jungle. Pour construire son récit, il s’appuie sur le des­tin de Phèdre, avec ceux des per­son­nages et des per­son­na­li­tés de l’époque du maré­chal Mobutu, au Zaïre. Phèdre, l’épouse du roi Thé­sée, est amou­reuse d’Hippolyte, le fils de son époux.
En mai 1997, Mobutu, ce dic­ta­teur qui a régné en maître absolu durant des décen­nies, a dû fuir ce pays qu’il a pillé à son pro­fit et à celui de son clan.

Si le scé­na­riste s’inspire lar­ge­ment du maître du Zaïre, nom que celui-ci avait donné au Congo belge, devenu la RDC après sa chute, il intègre des carac­té­ris­tiques d’autres tyrans du même aca­bit comme Amin Dada, Bokassa… Il décrit les révoltes, la gué­rilla, les exac­tions en tous genres, les pillages, les viols, les assas­si­nats…
Il fait vivre ce fleuve éter­nel, la guerre qui n’en finit pas, l’exil d’une jeu­nesse per­due, le pou­voir qui rend fou, les fétiches et autres croyances. Il uti­lise une nar­ra­tion en voix off pour appor­ter ces indi­ca­tions. Il en résulte une lec­ture plus agréable que des scènes sim­ple­ment dialoguées.

C’est Brüno, au style gra­phique inédit, qui assure la mise en images. Avec sa vir­tuo­sité du trait, la jus­tesse de ses cadrages, il met en scène de belle manière ce récit épique. Lau­rence Croix, avec ses cou­leurs puis­santes, comble avec bon­heur les vides lais­sés par l’usage des larges à-plats de noir, tech­nique chère au des­si­na­teur.
Avec ce récit, Appollo offre une tra­gé­die afri­caine bru­tale et cré­pus­cu­laire, ser­vie par le gra­phisme de Brüno qui exalte la déme­sure et les cou­leurs somp­tueuses pro­po­sées par Lau­rence Croix.

serge per­raud

Appollo (scé­na­rio), Brüno (des­sin) & Lau­rence Croix (cou­leurs), T’Zée — Une tra­gé­die afri­caine, Dar­gaud, mai 2022, 160 p. — 22,50 €.

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Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

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