Quand les chausse-trappes diplomatiques…
Avec le présent roman, Jean-Christophe Rufin propose la troisième enquête de son nouveau héros, qui en compte cinq en 2022. Aurel Timescu est né en Roumanie. Émigré, il a connu la vache enragée quand, arrivé à Paris, il joue du piano dans des cabarets. Un éphémère mariage l’amène dans la diplomatie grâce aux bons réseaux de son beau-père. Mais la musique est sa vraie passion. Il a fait le serment, sur le lit de mort de sa mère, de ne pas perdre sa vie dans des emplois de gratte-papier, comme son père, mais de devenir un grand artiste.
C’est pourquoi, avec un art consommé de l’évitement, il esquive toutes tâches administratives, tout travail de bureau. Mais, il est attentif à ce qui se passe autour de lui et se retrouve, ainsi, à mener des enquêtes en dehors de toute légalité.
Sa nouvelle affectation, à Bakou capitale de l’Azerbaïdjan, ravit Aurel lui qui est habitué aux nominations calamiteuses. Il se retrouve dans une ambiance proche de celle de Paris. Lorsqu’il arrive à l’ambassade, il est surpris par le silence qui règne. L’ambassadeur a perdu son épouse dans un accident le mois dernier. Il est parti en France pour les obsèques. Aurel fait la connaissance d’Amélie Laugier, la consulte, et doit attendre le retour du chef.
L’accueil que lui réserve Gilles de Carteyron, l’ambassadeur, l’effare. Celui-ci lui promet de le faire partir de son ambassade car il a des relations et il sait de quoi Aurel est capable. Pour un veuf récent, ce n’est pas un homme accablé. Une intuition surgit. D’un seul coup, cette affaire d’accident semble bien suspecte à Aurel. Il décide alors de mener des investigations pour traquer la vérité et, accessoirement, se venger de l’humiliation reçue.
Il a du temps libre car de Carteyron a donné l’ordre de ne confier aucune tâche, aucun dossier à Aurel jusqu’à ce qu’il quitte son poste pour une nouvelle affectation. Celui-ci commence à réunir des éléments sur le couple, les différentes étapes de leur existence jusqu’à cette chute dans les ruines de la citadelle d’Ordubad dans le Nakhitchevan, un territoire au statut spécifique.
Il remarque, lors de son poste à Rio de Janeiro, une évolution de de Carteyron, un basculement dans sa personnalité…
Avec beaucoup d’humour et beaucoup d’élégance, l’auteur fait enquêter son héros à partir de l’intuition qu’un accident lui semble suspect. Il conçoit autour d’Aurel, ce personnage falot, vêtu selon la mode des pays de l’Europe de l’Est sous la coupe communiste, une intrigue riche en déductions, en tâtonnements, mais astucieusement organisée et menée.
Rufin l’entoure d’une belle et grande galerie de protagonistes dont certains sont aussi singuliers que la figure centrale. Le romancier met en scène un univers qu’il connaît bien, ayant occupé une place d’ambassadeur au Sénégal.
Un roman au récit attractif, une intrigue fort singulière menée par un personnage bien étrange mais particulièrement attachant.
serge perraud
Jean-Christophe Rufin, Les énigmes d’Aurel le Consul III — Le flambeur de la Caspienne, Folio n° 7071, coll. “Littérature contemporaine”, avril 2022, 320 p. — 8,20 €.