Pendant un terrible hiver russe, un groupe de combattants, comptant un médecin et de nombreux blessés, a trouvé refuge dans un château habité par un baron et sa famille. La tempête ne se calme pas et la situation devient critique. Les vivres vont manquer chez les assiégés.
Alors que Svoga, le chef du groupe, parle de restreindre les rations cette mesure ne plait pas à Andreï.
Natalia et Irina, les filles du docteur, ont fait connaissance avec des enfants cachés dans les greniers.
Andreï propose, avec quelques autres, de sauver ceux qui sont encore valides et de se débarrasser des blessés. Face au refus de Svoga et du médecin, il fomente une révolte, s’empare de ceux qui sont contre lui. Il emmène les éclopés dans la forêt, avec l’intention de les achever.
Irina, dans les greniers, a noué un étrange contact avec l’Ombre, cette entité qui donne corps à une légende selon laquelle les blessés voient une dernière ombre avant de mourir. Et face à cette situation inhumaine…
En plaçant son récit dans une sorte de huis clos, le scénariste fait exacerber les sentiments humains les plus courants, des plus vils aux plus nobles. Pour faire monter encore la tension, il met en scène le rationnement de la nourriture et l’instinct pour survivre à n’importe quel prix. Or, dans un conflit, dans une guerre, ces deux exigences humaines sont d’abord la préoccupation des vivants. Parallèlement, il utilise les données d’une légende.
Avec un groupe d’enfants et d’adolescents, il installe des pauses dans le conflit, dans l’usage des armes et de la folie des hommes. Natalia, pour faire taire les affres de la faim aux plus petits, essaie de les faire évader dans un monde meilleur. Mais l’organisme exprime des besoins qu’il est difficile d’oublier.
Jouant avec le climat, la peur, la guerre, la famine, Denis-Pierre Filippi donne un récit qui, bien que jouxtant les frontières du fantastique, s’ancre dans une réalité tragique. Il élabore une belle galerie d’acteurs de son drame et propose des personnages finement construits, habités de caractères travaillés.
C’est à Gaspard Yvan que la totalité du graphisme a été confié. Et ce choix est plus que judicieux. S’il a fait ses premières armes dans la mise en couleurs, il réalise un dessin réaliste que nombre de dessinateurs, blanchis sous le harnais, peuvent lui envier. Ses personnages sont expressifs, stables tout au long du diptyque. Les décors sont travaillés, peu de vignettes ont un fond neutre. Les nombreuses scènes d’action sont rythmées, dynamiques et d’une grande efficacité. Les couleurs sont judicieusement choisies et mises en œuvre.
Avec ce second tome, les auteurs offrent une belle histoire, un récit bouleversant servi par un graphisme d’une grande beauté.
serge perraud
Denis-Pierre Filippi (scénario) & Gaspard Yvan (dessin et couleurs), La Dernière Ombre — Chapitre II, Vents d’Ouest, coll. “24x32”, février 2022, 48 p. – 14,50 €.