Michel Bussi, Nouvelle Babel

Suspense, mani­pu­la­tion et anti­ci­pa­tion font bon ménage 

Avec Nou­velle Babel, Michel Bussi pro­pose un texte d’anticipation d’une rare cohé­rence où l’intrigue brillante mène à un dénoue­ment comme seuls quelques roman­ciers, que l’on compte sur les doigts d’une main, ont le secret.

Il ima­gine une Consti­tu­tion Mon­diale du 29 mai 2058 où l’article 1 énonce : “Une seule Terre, un seul peuple, une seule langue.” La télé­por­ta­tion quan­tique est deve­nue l’unique moyen de dépla­ce­ment. On ne marche plus, on se télé­porte, même sur de très courtes dis­tances. Chaque humain reçoit, à l’âge de six ans, un TPC (Télé Puarto Cuerpo) qui se pré­sente comme une montre. Mais, afin d’éviter des acci­dents si trop de monde se télé­porte en même temps au même endroit, un Taux d’Occupation est géré par un gigan­tesque ser­veur, le Pan­gaïa.
Bien que la Terre appar­tienne à tout le monde, il est pos­sible, pour un nombre res­treint d’individus, de pri­va­ti­ser une petite par­celle contre une fortune.

Cinq couples de retrai­tés ont donc pu pri­va­ti­ser l’attol de Teta­manu dans l’archipel des Tua­motu. Au petit matin, ils sont tous assas­si­nés, ainsi que leur chien. L’Organisation Mon­diale des Dépla­ce­ments dépêche, dès connais­sance du drame, Artem Aki­nis, chef du bureau d’Investigation Cri­mi­nelle, et ses deux adjoints, Mi-Cha Kim et Babou Diop.
Cléo­phée Loi­selle est une jeune ins­ti­tu­trice pas­sion­née par son métier. Elle est har­ce­lée par sa mère qui vou­drait abso­lu­ment qu’elle se marie. Elle la presse d’accepter l’invitation d’Élias, un amou­reux, pour assis­ter à la finale de la Coupe du monde de foot au Mara­canã à Rio de Janeiro. Sur place, elle remarque quelques sièges plus bas, le jeune jour­na­liste qui avait inter­rogé Nem­rod, le pré­sident du Congrès Mondial.

Artem et ses adjoints com­prennent vite que le tueur froid et métho­dique qu’ils ont pu décou­vrir grâce à la caméra enchâs­sée der­rière les yeux du chat res­capé, vou­lait les billets d’entrée pour la finale. Crai­gnant un atten­tat, avec l’accord du Pré­sident, ils font éva­cuer le stade en quelques secondes. Cléo­phée et ce jour­na­liste res­tent sur place.
C’est en sui­vant la piste de ce nou­veau couple que les enquê­teurs vont, peu à peu, décou­vrir la trame d’un sinistre et impla­cable complot…

Dans ce nou­veau monde qui voit le jour en 2058, Michel Bussi régale ses lec­teurs de péri­pé­ties nova­trices offertes par cette télé­por­ta­tion immé­diate qui donne accès à tous les endroits de la Terre, des plus déso­lés aux plus para­di­siaques (la télé­por­ta­tion Quan­tique a réel­le­ment été inven­tée par le pro­fes­seur Anton Zei­lin­ger en 1997 avec des pho­tons). L’auteur retient comme langue unique l’espagnol, plus facile à assi­mi­ler.
Comme cha­cun peut aller par­tout, cela éli­mine le casse-tête des fais­ceaux horaires en réglant chaque hor­loge sur le Temps Uni­ver­sel. C’est la fin des télé­sièges et télé­phé­riques. On peut assem­bler une salade avec des pro­duits frais récol­tés dans divers pays en quelques minutes…

Bussi pro­pose un uni­vers très cohé­rent, par­fai­te­ment pensé et étu­dié. Mais, en huma­niste, Michel Bussi reste pru­dent et prend la pré­cau­tion d’avoir des réti­cents, des oppo­sants à cette nou­velle façon d’envisager la vie. En effet, peut-on ima­gi­ner une société de dix mil­liards d’individus sans quelques anti­so­ciaux, sans quelques cri­mi­nels ?
Il ins­talle ainsi la caté­go­rie des Séden­taires, ceux qui refuse caté­go­ri­que­ment la télé­por­ta­tion. Pour les cri­mi­nels et oppo­sants, il trouve éga­le­ment une solution.

Pour faire vivre cette cap­ti­vante intrigue, le roman­cier déploie une somp­tueuse gale­rie de per­son­nages d’où émerge cinq prin­ci­paux acteurs, les trois poli­ciers, l’institutrice et l’ambitieux jour­na­liste. Il fait réfé­rence à l’ancien monde, celui que des per­sonnes âgées ont pu connaître, le fonc­tion­ne­ment socié­tal de la fin du XXe siècle, et au début du XXIe siècle, poin­tant des inco­hé­rences dans le fonc­tion­ne­ment de cet ancien quo­ti­dien.
Avec ce nou­veau roman, l’auteur fait autant voya­ger ses per­sonnes que ses lec­teurs. S’il retient nombre de sites enchan­teurs ou fré­quen­tés, il pro­pose des lieux peu com­muns, peu connus sans doute, car ils n’attirent pas vrai­ment comme cette île au large du Bré­sil, celle qui est la plus éloi­gnée de toutes terres…

Comme dans ses pré­cé­dents romans, Bussi montre un bel huma­nisme dans l’animation de ses per­son­nages et place beau­coup d’humour mal­gré une intrigue au déve­lop­pe­ment fort tendu. Un fois encore, tel un Cré­sus lit­té­raire, Michel Bussi livre un texte d’une belle puis­sance nar­ra­tive en mariant de nom­breux genres ser­vis par une gale­rie de pro­ta­go­nistes d’une richesse excep­tion­nelle par sa diver­sité et la pro­fon­deur des carac­tères de chacun.

serge per­raud

Michel Bussi, Nou­velle Babel, Les Presses de la Cité, février 2022, 456 p. – 21,90 €.

Leave a Comment

Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>