Elisabeth de Gramont, Marcel Proust

Une amie de Marcel

Préve­nons tout de suite les prous­tiens : ils n’apprendront pas grand-chose de ce livre qui consiste à résu­mer A la Recherche du temps perdu davan­tage qu’à l’analyser — une démarche sus­cep­tible de rendre Gra­mont utile à ceux qui n’ont jamais lu Proust, et qui aime­raient faire sem­blant de le connaître, lors de dîners en ville.
D’un autre point de vue, l’ouvrage pour­rait ser­vir de porte d’entrée dans l’univers du grand roman­cier, et don­ner envie de s’y plon­ger, à cer­tains lec­teurs que son chef-d’œuvre inti­mide. Ce serait déjà assez de mérite pour jus­ti­fier cette réédition.

De fait, Eli­sa­beth de Gra­mont (qui fut une amie de Proust, sans doute aussi une ins­pi­ra­trice, et la pre­mière à lui consa­crer un livre, comme le rap­pelle Fran­cesco Rapaz­zini dans sa pré­face) ne perd jamais de vue les a priori néga­tifs dont Mar­cel souf­frit d’une part à cause de sa répu­ta­tion de mon­dain, et d’autre part, une fois célèbre, en rai­son de la com­plexité et de l’étendue de son roman.
Y son­geant constam­ment, elle le défend en met­tant en valeur l’aspect cap­ti­vant de la Recherche, l’envergure de sa pein­ture sociale et psy­cho­lo­gique, les beau­tés de son style et son humour. À ce pro­pos, elle pré­cise : “Cer­taines situa­tions et cer­taines conver­sa­tions donnent le fou rire, et lui-même, quand il lisait ces pas­sages à ses amis, était pris d’un rire aussi inex­tin­guible que celui de ces dieux de l’Olympe qui rient tout leur saoul pen­dant l’éternité“ (p. 227).

Les admi­ra­teurs de Proust goû­te­ront ce témoi­gnage, comme d’autres aper­çus de l’écrivain vivant, même si l’auteure est sus­cep­tible d’agacer par l’insistance avec laquelle elle rap­pelle qu’il resta long­temps “le petit Mar­cel“ pour ses amis du Fau­bourg Saint-Germain.
En revanche, Eli­sa­beth de Gra­mont a assez de sen­si­bi­lité pour mettre en évi­dence l’aspect sacri­fi­ciel du tra­vail de Proust, notam­ment dans un pas­sage où elle com­pare son por­trait par Jacques-Emile Blanche et la gouache de Segon­zac qui le peint sur son lit de mort : “Entre le beau jou­ven­ceau et le Christ gisant, écar­telé par son œuvre, toute la Recherche du temps perdu a passé“ (p. 227).

Cette sen­si­bi­lité et l’enthousiasme sans mélange de la grande dame pour le génie de Proust rendent son livre attachant.

agathe de lastyns

Eli­sa­beth de Gra­mont, Mar­cel Proust, Bar­tillat, jan­vier 2022, 300 p. – 20,00 €.

Leave a Comment

Filed under Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>