L’ex-lieutenant J.T. Eldrick s’est porté volontaire comme sentinelle face à la forêt, au danger qu’elle recèle. Depuis le sommet d’une tour de guet, il tente de suivre les déplacements des Bûcherons dans cette forêt qui étouffe peu à peu la ville. Il entend des coups de hache sans pouvoir les localiser.
Lorsqu’il repart, il trouve un gâteau couleur de sang planté de trois bougies. Ce sont trois morts exigés comme prix à payer pour que survive la trêve qui protège la ville et ses habitants.
Naomi a vingt-huit ans. Il y a une décennie, elle a commis l’irréparable. Bien que sans témoin, elle craint que son acte soit découvert. Elle a été recrutée par les Editions Sweeton & Sweet pour effectuer des travaux de recherche et de documentation pour des auteurs. Son employeur, un ami et associé de son père décédé, l’envoie à Hag’s pour retrouver trace de Barney Lambster, un auteur de best-sellers dont il est sans nouvelles depuis trois mois. Il est parti enquêter pour la biographie du juge Hooter, un cinglé de première qui ne prononçait, à partir de 1867, qu’une seule sentence : la pendaison.
Lorsqu’elle arrive elle trouve une cité peuplée de réfractaires à tous progrès, se fait dépouiller de tous ses matériels électroniques, de ses dollars en contrepartie d’une monnaie locale. Quand elle retrouve Lambster, celui-ci refuse de lui ouvrir. Elle le sent terrorisé. Mais ce qu’elle découvre très vite…
L’action se construit autour de trois groupes principaux de personnages. Un couple de circonstances et des meutes aux motivations fortes pour faire régner leur conception de la société. Les groupes sont chapeautés par des gens sans pitié qui, eux-mêmes, vivent sous une épée de Damoclès. Malgré leur situation, ils risquent le pire en cas d’échec.
Les difficultés s’ajoutent les unes aux autres, finissant par constituer un tel écheveau que cela semble impossible de s’en sortir en vie. Serge Brussolo installe son intrigue qui, rapidement, prend une direction, va dans un sens imprévu, où chaque protagoniste tente alors de survivre guidé par l’instinct de conservation. L’auteur accroît le climat de tension avec des sous-entendus, des attitudes ambiguës qui détériorent les rapports.
Il appuie une partie de son intrigue sur les théories suprémacistes, la Grande Guerre des Races dont il dépeint les excès avec rigueur. On retrouve également une dénonciation des sectes, de ces groupes de fanatiques qu’il tourne en dérision avec leur fonctionnement disloqué.
Les protagonistes principaux sont finement construits avec un profil élaboré et une véritable biographie qui permet de comprendre comment ils se retrouvent dans des situations critiques, les mécanismes de réactions qu’ils sont capable de mobiliser.
Un humour malicieux, avec une ironie souvent mordante mais frappé de bon sens, est distillé au fil des pages. L’auteur brocarde le monde de l’édition, les écrivains avec, par exemple : “…les auteurs trop feignants pour écumer les bibliothèques et mettre le nez dans un livre.”
Serge Brussolo s’ingénie à imaginer des univers de cauchemars et à les développer avec un renouvellement constant. La forêt des silences contient tout ce que l’auteur excelle à mettre en scène comme la peur au ventre, l’angoisse qui monte et des péripéties qui dérapent. Ce roman fait la part belle à la tension et à l’angoisse, mettant en scène le psychisme des individus, de ceux qui sont habités par le Mal à l’état pur et de ceux qui risquent d’en être les victimes. Il ajoute un autre péril avec des hordes tangibles de tueurs fanatisés et sans pitié.
Ce roman se lit sans rupture tant il est prenant, riche en péripéties musclées et psychologiques.
serge perraud
Serge Brussolo, La forêt des silences, H & O Poche, janvier 2022, 256 p. – 6,90 €.