Ken Follett, Pour rien au monde

Et si l’Histoire se répétait !

C’est en fai­sant des recherches pour La Chute des géants, le pre­mier volet de sa tri­lo­gie Le Siècle (Robert Laf­font 2010 — 2014) qui raconte l’histoire du XXe siècle en sui­vant les pas des membres de cinq familles de natio­na­lité dif­fé­rentes, que l’auteur réa­lise une situa­tion abra­ca­da­bran­tesque. La Grande Guerre a éclaté alors que per­sonne ne vou­lait de ce conflit. Décor­ti­quant les méca­nismes, il a retrouvé les diverses phases qui ont amené, de façon iné­luc­table, à cette bou­che­rie géante.
Il applique ce schéma dans un cadre contem­po­rain avec Pour rien au monde, son nou­veau roman.

En pro­logue, le roman­cier invite ses lec­teurs à visi­ter le pays de Mun­ch­kins en com­pa­gnie de Pau­line Green, la pré­si­dente des Etats-Unis. C’est un lieu secret où elle et son état-major pour­raient se réfu­gier dura­ble­ment en cas de conflit.
L’action se déporte près du lac Tchad où Tamara, une agente de la CIA et Tab­dar, un agent fran­çais, ont rendez-vous avec Abdul. C’est un offi­cier amé­ri­cain qui, sous la cou­ver­ture d’un mar­chand ambu­lant de ciga­rettes de contre­bande, piste des dji­ha­distes de l’EIGS – État isla­mique dans le Grand Sahara — pour éli­mi­ner leur chef.
Pamela, en visi­tant un vil­lage sinis­tré par la baisse dras­tique des eaux du lac, bavarde quelques minutes avec Kiah, la veuve d’un pêcheur qui pense à s’exiler. Avec les ren­sei­gne­ments, l’assaut est un suc­cès. C’est la décou­verte d’armes de très gros calibre qui amène Green à pro­po­ser une réso­lu­tion à l’Assemblée géné­rale de l’ONU pour cana­li­ser les ventes d’armes.
Les Ser­vices secrets chi­nois vite infor­més, vont ten­ter de contrer cette motion. Des escar­mouches de plus en plus vio­lentes entre le Tchad et le Sou­dan engendrent une ten­sion diplo­ma­tique inter­na­tio­nale. Mais, quand un drone amé­ri­cain volé bom­barde un port sou­da­nais où tra­vaillent des Chinois…

En appli­quant à la pré­sente intrigue les méca­nismes qui ont amené toute l’Europe en guerre en 1914, Fol­lett pro­pose une esca­lade qui risque de débou­cher sur la Troi­sième Guerre mon­diale. Et c’est si bien mis en scène que ce récit prend les cou­leurs de la réa­lité. Avec un récit qui débute au cœur de l’Afrique, qui se déve­loppe aux USA, en Chine, en Corée du Nord, il met en musique une gale­rie par­ti­cu­liè­re­ment étof­fée de per­son­nages. Ceux-ci sont étu­diés, char­pen­tés, bâtis, détaillés pour en faire des acteurs de chair et d’os de son intrigue.
Et la gale­rie va d’une veuve de vingt ans vivant sur les anciens bords du lac Tchad jusqu’à la pré­si­dente des États-Unis, au pré­sident chi­nois, en pas­sant par des agents de ter­rain, des diplo­mates, des sol­dats, des espions, des ter­ro­ristes, des pas­seurs, une star du cinéma chi­nois… Le roman­cier les place dans leur fonc­tion mais leur fait vivre un quo­ti­dien que cha­cun peut avoir. Ainsi, Pau­line Green a des sou­cis avec sa fille ado­les­cente, un res­pon­sable des ser­vices secrets est fra­gi­lisé par des rumeurs met­tant en cause la fidé­lité au Parti de son épouse. Une agente de la CIA se rap­proche d’une belle his­toire d’amour en fai­sant très atten­tion à n’être pas déçue après deux mariages ratés. Le roman­cier dépeint le par­court des migrants, les pas­seurs et leurs victimes…

Ken Fol­lett met en œuvre les quatre étapes qu’il a iden­ti­fiées et qui mènent vers la guerre. C’est d’abord l’étincelle, puis l’escalade, la menace exis­ten­tielle et l’engagement. C’est ainsi que par­tant d’une opé­ra­tion contre des dji­ha­distes qui ran­çonnent des popu­la­tions déjà bien appau­vries, la suc­ces­sion des évé­ne­ments touchent une large par­tie de la pla­nète. En effet, entre les États-Unis et la Chine qui sont en conflit per­ma­nent à coups d’actions éco­no­miques, de décla­ra­tions diplo­ma­tiques, des Etats doivent choi­sir un camp.
C’est ainsi, qu’avec une série de conflits mineurs, il retrace une esca­lade dans laquelle chaque action pro­voque une réac­tion plus agres­sive jusqu’à un moment où un pays consi­dère que son exis­tence même est en jeu et la déci­sion ultime…

S’il était besoin de le rap­pe­ler, Ken Fol­lett pos­sède une connais­sance appro­fon­die de tous les sujets qu’il aborde, obsédé par le détail réel. Il cite, par exemple, l’évolution de la com­mune de Clichy-sous-Bois. Avec ce livre, Fol­lett signe un nou­veau volet remar­quable dans une œuvre qui en compte énor­mé­ment.
C’est une lec­ture plus que salu­taire pour mieux appré­hen­der cer­tains enjeux mondiaux.

serge per­raud

Ken Fol­lett, Pour rien au monde (Never), tra­duit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque, Odile Demange, Chris­tel Gaillard-Paris, Natha­lie Gouyé-Guilbert et Domi­nique Haas, Robert Laf­font, novembre 2021, 792 p. – 24,90 €.

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Filed under Chapeau bas, Pôle noir / Thriller

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