Dans le Paris fantastique des années 1890
L’égyptologie est à la mode en cette fin du XIXe siècle. Beaucoup se passionnent pour tout ce qui touche à l’occultisme et à l’ésotérisme. Par exemple, de grands noms de la littérature pratiquent l’évocation d’esprits tels Victor Hugo, Conan Doyle… De plus, s’est fait jour un intérêt très marqué pour les mœurs antiques, les civilisations anciennes de l’Est de la Méditerranée.
C’est dans ce contexte que Rodolphe place son intrigue, s’appuyant sur des sujets réels, des personnages authentiques et propose un récit qui emprunte au fantastique et aux romans noirs et terrifiants.
Théo rêve qu’il est en Phénicie, mille ou douze cents ans avant notre ère, et qu’il est sacrifié au dieu Moloch. Ce cauchemar, qu’il raconte à quelques amis, est sans doute la suite de la longue conversation qu’il a eue avec Hugo de Reuhman. Ce dernier a trouvé, chez un libraire de l’île Saint-Louis, un ensemble de documents ayant trait à Bernardino Drovetti.
Alors que la réception bat son plein chez Hugo, celui-ci appelle Théo car des cambrioleurs tentent de percer son coffre. Leur arrivée les met en fuite. Ils n’ont rien volé sauf les copies des lettres de l’Italien. Drovetti est un personnage particulier qui a vendu une grande partie de ses collections au musée du Louvre.
Parallèlement, Théo se voit confier, par sa tante, sa jeune nièce, Victoria, qui arrive de Londres et veut visiter Paris. Elle a des idées très précises sur ce qu’elle veut voir.
Cette nuit-là, au Louvre, deux gardiens en ronde font une rencontre étonnante, une étrange apparition qui les terrifie.
Si Théo assure son rôle de guide, il accompagne Hugo qui veut passer la nuit au Louvre. Leur attente est récompensée mais la créature disparaît de façon inexplicable, comme un sarcophage censé contenir les restes d’un homme mystérieux de l’Antiquité.
Rodolphe utilise tous ces éléments d‘un genre en plein essor à cette époque, la panoplie du fantastique d’antan comme les momies, les monstres, les fantômes… Il joue avec des clichés, fait force clins d’yeux avec des références, des données de la culture populaire. Il livre des bas de pages cocasses comme lorsqu’il utilise une péripétie de son intrigue, expliquant qu’Arthur Bernède, en 1927, s’inspire de cet épisode pour écrire Belphégor. Il se livre à la même facétie pour Le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux ou lorsqu’il fait apparaître la momie des 7 Boules de cristal, une aventure de Tintin.
Une large partie du récit s’appuie sur la vente d’antiquités par Bernardino Drovetti. Ce drôle de citoyen a eu une carrière éclair, passant en deux ans, sous Napoléon, de simple soldat au grade de colonel. Nommé consul au Caire, il pillera joyeusement des pièces anciennes pour une collection qu’il revendra à différents musées.
Le scénariste propose une visite du Paris de l’époque en promenant son héros, accompagné ou non de Victoria, au Moulin Rouge, dans une séance de spiritisme, dans les salles du Louvre…
Le dessin en couleurs directes d’Oriol surprend au premier abord par l’intensité des teintes, l’emploi massif de couleurs primaires, par l’usage qui est fait de couleurs saturées. Il donne une destination peu courante de certaines de ces teintes comme un vert pour la barbe et les cheveux d’Hugo de Reuhman. Il compose des personnages souvent réduits à l’état de silhouettes. S’il synthétise les acteurs de ses planches, il réalise des décors remarquables, des vues des bâtiments du Louvre intéressantes. Il sait, en quelques taches, camper La Goulue, Valentin-le-Désossé, Toulouse-Lautrec…, restituer une ambiance.
Avec L’Or du temps, expression empruntée à André Breton, Rodolphe renoue, avec réussite, à un genre toujours passionnant, avec une intrigue fort bien menée servie par un graphisme particulièrement adapté à l’esprit du récit.
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serge perraud
Rodolphe (scénario) & Oriol (dessin et couleurs), L’Or du Temps — Première partie, Éditions Daniel Maghen, septembre 2021, 80 p. – 16,00 €.