Chacun sait que la Première Guerre mondiale, loin d’être la « der des ders », accoucha d’un second conflit encore plus terrifiant. Mais on ignore qu’elle fut suivie de plusieurs années très conflictuelles, au moins jusqu’en 1925, date à laquelle l’Europe connut une réelle stabilisation que balaya la crise de 1929.
C’est cette histoire peu connue que raconte un livre collectif aussi original qu’enrichissant, dirigé par François Cochet.
Loin d’être pacifiques, les fameuses Années folles constituent en réalité une période troublée où l’onde de choc du conflit mondial se fait sentir sur l’ensemble du continent européen, touchant vainqueurs comme vaincus. Dans deux contributions, François Cochet se penche sur ce qui est communément appelé aujourd’hui la sortie de guerre : démobilisation compliquée, reconversion difficile de l’appareil industriel, traités de paix contestés et mise hors la loi bien théorique de la guerre ponctuèrent cette difficile transition.
Pendant ce temps, les Etats-Unis, décidés à assurer la rédemption de l’humanité en général et des Européens en particulier, sous la direction du nouveau Moïse wilsonien, n’en portaient pas moins des coups très durs, véritablement militaires, aux pays d’Amérique latine, dans une conception somme toute brutale de la doctrine Monroe et du big stick de Roosevelt. Comme le montre Michaël Bourlet, l’oncle Sam garda une main de fer sur Amérique et une oreille attentive aux affaires du monde.
A travers l’exemple du Moyen Orient, Julie d’Andurain décrit des espaces déstabilisés en profondeur par les conséquences du conflit et de la disparition de l’Empire ottoman, laquelle a en fait créé un vide dont on peut se demander s’il est comblé de nos jours. Rivalités coloniales et montée des revendications nationales constituaient un mélange explosif qui ne tarda pas à s’enflammer !
Quant à la guerre du Rif, Julie d’Andurain en expose avec netteté les composantes de ce que nous appelons aujourd’hui les guerres irrégulières.
Même un grand vainqueur comme le Royaume-Uni, analysé par Philippe Chassaigne, n’échappa pas à la violence tant interne du fait des effets socio-économiques de la guerre qu’externe dans sa répression des Irlandais et des Indiens révoltés contre sa domination.
Faut-il y voir un effet de la brutalisation chère à l’historien George Mosse ? Philippe Chassaigne rappelle avec pertinence que les Anglais n’ont pas attendu la Grande Guerre pour brutaliser les Irlandais, de même que la violence coloniale possédait sa propre logique dès le XIXe siècle.
Les cas italien et allemand, étudiés respectivement par Sylvain Schirman et Emmanuel Mattiato, doivent servir à rappeler que c’est la défaite ou la semi-victoire qui constitua l’élément en fait le plus déstabilisant, jouant le rôle de moteur de la brutalisation des comportements politiques, surtout quand elles touchent des sociétés marquées par des archaïsmes ou des conflits latents datant d’avant le conflit.
Ce dernier n’a été qu’un ressort qui a transformé l’adversaire politique en ennemi à abattre mais un ennemi qui préexistait.
L’Europe ne pouvait sortir ni rapidement ni indemne d’un si terrible conflit.
Ce livre le démontre d’une manière très claire.
frederic le moal
Les guerres des Années folles (1919–1925), dirigé par François Cochet, Passés/composés, septembre 2021, 400 p. — 23,00 €.