Avec des éléments de fantastique, avec un part d’ésotérisme, Philip Le Roy développe une intrigue fascinante et imprévisible. Avec son couple de héros, un adolescent particulièrement imaginatif aux prises avec des phénomènes qu’il ne peut expliquer et une adolescente délurée, il dresse une suite de péripéties mêlant action, aventures, chasse au trésor, données bibliques, théogonie, légendes, le tout couvert par une atmosphère menaçante.
Joachim est en famille d’accueil chez les Russo depuis que ses parents sont morts dans un accident de voiture en Italie, il y a six mois. Outre Andrea et Luce, la famille se compose de Manuela et Enzo, des jumeaux. Ils sont dans la même classe de 3e que Joachim. Il a pour seule amie, Wata, plus âgée d’un an mais beaucoup plus mature. Or, c’est une copine imaginaire comme Joachim aime en développer. Les jumeaux l’ont surnommé Split en référence au héros d’un film qui possède 23 personnalités différentes. Joachim, depuis peu, a des nuits difficiles entre cauchemars et visions nocturnes. Il perçoit des bruits ténus, des voix.
Au collège, malgré lef ait qu’il soit lui-même la tête de turc de trois brutes, il prend la défense d’une élève au look bien particulier, un look repoussant. Le lendemain, elle l’attend pour le remercier, se présente comme Aline et ils sympathisent au grand dam de Wata. Tenue informée de ses soucis, elle s’introduit nuitamment dans sa chambre et elle entend une voix féminine prononcer : “Rends… la… moi.” Joachim reconnaît celle de sa mère. Or, il ne possède, de ses parents, que la mini-bible de George Washington et une photo de leur mariage. Les apparitions nocturnes se multiplient deviennent menaçantes. Wata le convainc qu’il est en danger, que les Russo et les séances chez son psy contribuent à ses terreurs. Il doit fuir…
Pour animer son récit, le romancier compose une suite de personnages bien étudiés, aux caractères parfaitement campés avec quelques spécimens singuliers. Mais ces portraits, comme le look peu avenant d’Aline s’explique quand on découvre la situation infecte qui l’affecte. Joachim, pour sa part est introverti et s’invente les copains qu’il ne sait pas se faire dans son entourage. Ses parents, comme ceux de la famille d’accueil, sont également bien particuliers.
L’auteur intègre de multiples données très contemporaines tels que les attouchements des enfants, les violences sexuelles. Il appuie son propos sur un rapport du Conseil de l’Europe dans le cadre d’une campagne menée de 2010 à 2015 qui conclut qu’un enfant sur cinq en est victime. Soucieux du bonheur des enfants, de la liberté des adolescents, il dénonce des sites de vente en ligne : “…genre Cdiscount et Amazon qui vendent des hijabs et des abayas pour les fillettes de 2 à 7 ans !”
Comme à son habitude, il propose nombre de références littéraires, cinématographiques et musicales bien en phase avec le déroulement de l’histoire. Malgré la tension qui se dégage du récit au fur et à mesure dans l’avancée de l’intrigue, de large plages du récit sont drôles, gaies. Les réflexions qui fusent sont vraies. Les dialogues sont pétillants et l’histoire se déroule avec un tempo enlevé.
Le Roy use, avec la même virtuosité, d’un vocabulaire relevé introduisant, par exemple, anaphores, paronomase, que les expressions communément utilisées par les adolescents d’aujourd’hui.
Ayant, semble-t-il un grand faible pour Baudelaire, il introduit quelques vers de ce poète majeur citant, à propos, et récitant Les métamorphoses du vampire. Il défend l’imagination et l’imaginaire, refusant à travers ses héros l’uniformisation imposée par les réseaux sociaux, la télévision, les plateformes numériques.
Ce nouveau roman de Philip Le Roy offre un thriller psychologique riche en tension avec une intrigue extrêmement structurée, en données de toutes natures mais si intéressantes à découvrir et un couple de héros qui reste en mémoire.
serge perraud
Philip Le Roy, Fais de beaux rêves…, Rageot, septembre 2021, 448 p. – 15,90 €.