Fidelma est toujours aussi affûtée dans ses déductions
Avec La jeteuse de sort, Peter Tremayne propose la trente-et-unième enquête de Fidelma de Kildare, cette noble devenue une religieuse de l’Église irlandaise.
Fine juriste, elle est amenée à traquer la vérité dans les diverses contrées de l’Irlande au VIIe siècle de notre ère.
En 672, dans les Cuala, à l’abbaye du bienheureux Cáemgen (Kevin), l’abbé Daircell penché sur le manuscrit qu’il recopie, est agacé par le battement ininterrompu de la cloche annonçant des visiteurs. Mandé à l’entrée, il rencontre Cétach, un commerçant de mauvaise réputation, qui a trouvé un cadavre sur son chemin. L’abbé le reconnaît. Il s’agit de Brocc le brehon (juge) de sa cousine, la princesse Gelgéis qui, avec son intendant, venait pour le rencontrer. Sur les lieux, rien d’autre que ce cadavre. Où sont passés ses deux compagnons ?
L’homme a reçu une flèche dans le dos et a été égorgé. Il a encore sa bourse en cuir sur lui qui ne contient plus qu’un caillou. Mais, le corps a été dissimulé pendant près d’une semaine, puis déposé sur le chemin pour être découvert. L’abbé décide d’envoyer un de ses moines, un excellent cavalier pour prévenir Colgú, le roi de Muman, de la disparition de sa fiancée. Celle-ci l’avait aidé dans un complot fomenté par le roi de Laigin, Fianamail qui voulait marcher contre Muman.
Fidelma, sa sœur, le convainc de ne pas lever une armée. Elle part enquêter dans un pays hostile en compagnie de Frère Eadulf, son mari, et de Enda, un guerrier de la garde royale. Mais ce qu’elle découvre…
Cette fois encore la belle religieuse rousse est confrontée à une situation qui met en péril l’équilibre de cette Irlande relativement stable politiquement. Le pays est divisé en cinq royaumes. Mais les rois doivent allégeance au maître du royaume de Tara, qui pilote une structure administrative et juridique qui coiffe l’ensemble.
L’Église, à l’époque, était indépendante de Rome car de nombreux points théologiques les séparent.
Avec cette héroïne, le romancier explore toutes les contrées de l’Irlande du Haut-Moyen Âge, que ce soit dans le domaine géographique, politique, social, religieux, artisanal, industriel, culturel… Il propose de fines remarques sur les comportements humains des individus de cette époque, comportements qui n’ont guère évolué, pour ne pas dire qu’ils ont régressé ‚dans certains domaines et dans certaines régions du globe.
Évoquant un monastère, il parle de : “…ces communautés masculines obnubilées par le beau sexe et les relations charnelles.” Il décrit l’importance des peurs primitives ancrées en chacun de nous, peurs qui, malgré les tentatives religieuses, ne sont pas éradiquées et restent vives comme ces croyances aux démons, cette appréhension des ténèbres.
Cette société était égalitaire. Les femmes étaient protégées par un ensemble de lois et possédaient des droits identiques à ceux des hommes. On était à des années-lumières de ce que l’on peut constater aujourd’hui dans les trois quarts de la Terre. Certes, on pourrait s’étonner que des gens du peuple utilisent un vocabulaire assez relevé comme ce charron d’un village perdu dans une contrée sauvage qui interroge : “Dans quel dessein ?“
Avec un style fluide, une écriture agréable à lire et un art du récit, Peter Tremayne offre des histoires solidement documentées, passionnantes à suivre tant pour l’héroïne que pour les galeries de protagonistes qui l’entourent et les sujets abordés.
serge perraud
Peter Tremayne, La jeteuse de sort (The Shapeshifter’s Lair), traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Corine Derblum, Éditions 10/18, coll. “Polar”, 396 p. — 14,90 €.