Piergiorgio Pulixi, L’Île des âmes

Un thril­ler sarde intri­gant mal­gré des maladresses

Au cœur de la Sar­daigne, à Cagliari et dans ses envi­rons, les habi­tants ont la rugo­sité et le chau­vi­nisme que l’on ima­gine aux Sardes : ici, on échange volon­tiers dans le dia­lecte local et on se méfie des étran­gers – enten­dez par là ceux qui ne sont pas du village.

Dans cette atmo­sphère assez hos­tile, Eva Croce est débar­quée de Milan pour inté­grer le ser­vice des « affaires non élu­ci­dées », où l’on a aussi nommé Mara Rais, une locale à (trop) fort carac­tère. Ce nou­veau ser­vice, que l’on ne s’y trompe pas et mal­gré le pré­texte offi­ciel de devoir se pen­cher notam­ment sur une série de meurtres avec mise en scène ritua­li­sée dont le pre­mier a eu lieu en 1961, n’est en réa­lité ni plus ni moins qu’un pla­card et ni Croce ni Rais ne sont dupes.
Sur­tout quand on leur pré­cise qu’elles devront se col­ti­ner le spé­cia­liste de ces crimes, le vieux Moreno Bar­rali, en congé mala­die et qui se meurt d’un can­cer… et perd dan­ge­reu­se­ment ses capa­ci­tés cognitives.

Cepen­dant, quand une jeune femme por­tée dis­pa­rue est retrou­vée morte dans des cir­cons­tances qui res­semblent beau­coup aux vic­times des crimes rituels du passé, les deux ins­pec­trices sont plon­gées dans une enquête où la noir­ceur le dis­pute au sor­dide. De men­songes en cynismes des adeptes d’une secte néo­nu­ra­gique, de faux-semblants en vio­lences d’une cruauté inouïe, le lec­teur n’a pas fini d’écarquiller les yeux et de tour­ner les pages de ce thril­ler aux cha­pitres courts et percutants.

L’Île des âmes, je le confesse, est mon pre­mier polar sarde, et le détail n’est pas anec­do­tique en l’occurrence car l’auteur sait nous noyer dans un envi­ron­ne­ment à la beauté indé­niable mais aussi sombre et gla­cial qu’une grotte, au cœur d’une culture ances­trale qui peut lais­ser confus, stu­pé­fié, mais qui for­cé­ment intrigue.
Si l’on passe outre un style par­fois ampoulé, quelques envo­lées lyriques qui peuvent virer vague­ment au ridi­cule (« Il fal­lait qu’elle neu­tra­lise ce secret qui, devant cha­cun de ses reflets, la trans­per­çait des lames effi­lées de la mémoire » p. 53, « … trans­per­cée par la lame du doute » p. 149, « … tan­dis qu’un sombre pré­sage s’enracinait dans son cœur » p. 243, pour n’en citer que quelques exemples), des erreurs de tra­duc­tion patentes (que diable allait faire tel per­son­nage « sur la véranda » p. 239 ?), le roman se lit avec plai­sir, le sus­pense est bien maî­trisé et l’alternance avec des cha­pitres met­tant en scène une famille de pay­sans arrié­rés des mon­tagnes de Bar­ba­gia apporte une dose de com­plexité et de mys­tère sup­plé­men­taire – hélas, cette piste est fina­le­ment mal exploi­tée et le dénoue­ment m’a lais­sée sur ma faim.

L’édi­teur annonce qu’il s’agit-là du pre­mier volet d’une série qui met­tra en scène les deux per­son­nages de poli­cières d’Eva Croce et Mara Rais (au rela­tions fami­liales et au passé qui méritent en effet d’être creu­sés) et, mal­gré les réserves men­tion­nées ci-dessus, je décou­vri­rais volon­tiers la suite de leurs aven­tures sur ces terres sau­vages et ter­ri­ble­ment exotiques.

agathe de lastyns

Pier­gior­gio Pulixi, L’Île des âmes, tra­duit de l’italien par Ana­tole Pons-Reumaux, Gall­meis­ter, avril 2021, 544 p. – 25,80 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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