Un thriller sarde intrigant malgré des maladresses
Au cœur de la Sardaigne, à Cagliari et dans ses environs, les habitants ont la rugosité et le chauvinisme que l’on imagine aux Sardes : ici, on échange volontiers dans le dialecte local et on se méfie des étrangers – entendez par là ceux qui ne sont pas du village.
Dans cette atmosphère assez hostile, Eva Croce est débarquée de Milan pour intégrer le service des « affaires non élucidées », où l’on a aussi nommé Mara Rais, une locale à (trop) fort caractère. Ce nouveau service, que l’on ne s’y trompe pas et malgré le prétexte officiel de devoir se pencher notamment sur une série de meurtres avec mise en scène ritualisée dont le premier a eu lieu en 1961, n’est en réalité ni plus ni moins qu’un placard et ni Croce ni Rais ne sont dupes.
Surtout quand on leur précise qu’elles devront se coltiner le spécialiste de ces crimes, le vieux Moreno Barrali, en congé maladie et qui se meurt d’un cancer… et perd dangereusement ses capacités cognitives.
Cependant, quand une jeune femme portée disparue est retrouvée morte dans des circonstances qui ressemblent beaucoup aux victimes des crimes rituels du passé, les deux inspectrices sont plongées dans une enquête où la noirceur le dispute au sordide. De mensonges en cynismes des adeptes d’une secte néonuragique, de faux-semblants en violences d’une cruauté inouïe, le lecteur n’a pas fini d’écarquiller les yeux et de tourner les pages de ce thriller aux chapitres courts et percutants.
L’Île des âmes, je le confesse, est mon premier polar sarde, et le détail n’est pas anecdotique en l’occurrence car l’auteur sait nous noyer dans un environnement à la beauté indéniable mais aussi sombre et glacial qu’une grotte, au cœur d’une culture ancestrale qui peut laisser confus, stupéfié, mais qui forcément intrigue.
Si l’on passe outre un style parfois ampoulé, quelques envolées lyriques qui peuvent virer vaguement au ridicule (« Il fallait qu’elle neutralise ce secret qui, devant chacun de ses reflets, la transperçait des lames effilées de la mémoire » p. 53, « … transpercée par la lame du doute » p. 149, « … tandis qu’un sombre présage s’enracinait dans son cœur » p. 243, pour n’en citer que quelques exemples), des erreurs de traduction patentes (que diable allait faire tel personnage « sur la véranda » p. 239 ?), le roman se lit avec plaisir, le suspense est bien maîtrisé et l’alternance avec des chapitres mettant en scène une famille de paysans arriérés des montagnes de Barbagia apporte une dose de complexité et de mystère supplémentaire – hélas, cette piste est finalement mal exploitée et le dénouement m’a laissée sur ma faim.
L’éditeur annonce qu’il s’agit-là du premier volet d’une série qui mettra en scène les deux personnages de policières d’Eva Croce et Mara Rais (au relations familiales et au passé qui méritent en effet d’être creusés) et, malgré les réserves mentionnées ci-dessus, je découvrirais volontiers la suite de leurs aventures sur ces terres sauvages et terriblement exotiques.
agathe de lastyns
Piergiorgio Pulixi, L’Île des âmes, traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux, Gallmeister, avril 2021, 544 p. – 25,80 €.