Serge Quadruppani, Maldonnes

Quand les mau­vaises donnes s’accumulent…

En juin 2010, Anto­nin Gan­dolfo pré­pare des grillades sur une ter­rasse dans une île éolienne. Il reçoit la visite sur­prise de Guillaume Lepre­neur, le fils du dro­guiste tué en 1986 par Georges Nico­tra, l’ami d’Antonin, qu’il avait fait libé­rer de pri­son. Vient-il ven­ger son père ? Anto­nin se remé­more alors les cir­cons­tances qui l’ont conduit jusqu’ici.
Tout a débuté en avril 1971, lorsqu’en com­pa­gnie de Phi­lip­pine et Jean, ils braquent un cercle de jeu dans les Alpilles. Anto­nin, mort de trouille, va tirer pour empê­cher l’irréparable avec un mou­ve­ment de balayage qui entrera dans les annales des cercles qu’il fré­quente. Jean est arrêté mais ne le dénonce pas. Pour ne pas se faire repé­rer, Anto­nin rompt toute rela­tion avec lui et Philippine.

Gre­nouillant dans les milieux liber­taires et d’ultragauche, Anto­nin col­la­bore à plu­sieurs revues confi­den­tielles sous pseu­do­nyme tout en pour­sui­vant une car­rière de bra­queur. Ayant décidé de ne pas tra­vailler, il faut vivre et faire vivre la cause. Il fait un bref séjour dans une pri­son hol­lan­daise où il ren­contre Isa­belle, l’avocate dépê­chée pour le défendre. Anto­nin décide de deve­nir homme de lettres et d’écrire des polars.
Mais, c’est peu avant être libéré, quelques années plus tard, que Jean se mani­feste en don­nant l’adresse d’Antonin à Georges Nico­tra, un détenu côtoyé à la Santé. C’est le début d’une série de mésa­ven­tures qui amè­ne­ront le héros à redou­ter le pire…

Le par­cours d’Antonin, qui navigue dans les milieux inter­lopes, qui pro­fes­sait des idées liber­taires, qui mili­tait contre tout et son contraire, donne au roman­cier la matière pour faire revivre une période agi­tée. Avec Anto­nin, le nar­ra­teur, Serge Qua­drup­pani pro­pose un héros, plu­tôt un anti­hé­ros car l’auteur le décrit comme assez démuni face aux évé­ne­ments de la vie, ayant du mal à tran­cher, mal­adroit dans ses actes et ses rela­tions amou­reuses.
Par contre, il le place dans la mou­vance de cette période qui suit les évé­ne­ments de mai 1968, une époque qui a per­mis la sur­ve­nue d’idées déjà pro­fes­sées mais qui ont connu un regain d’attractivité. C’est le début des migra­tions de rou­tards vers le Tibet, Kat­man­dou, la Thaï­lande. C’est la géné­ra­li­sa­tion de l’amour libre, le rejet de toute socia­li­sa­tion, autorité…

Autour d’Antonin gra­vite une riche gale­rie de per­son­nages d’où émergent des por­traits fémi­nins magni­fiques, de véri­tables héroïnes qui avancent dans leurs vies, libres, que ce soit Isa­belle l’avocate, Sonia, l’enseignante en socio­lo­gie à Rome ou Olga, qu’il épouse.
Serge Qua­drup­pani mêle étroi­te­ment les règles du polar en éclai­rant une course au tré­sor. Il pro­pose une construc­tion habile et peu com­mune. Si le nar­ra­teur, per­son­nage cen­tral de l’histoire raconte son par­cours, donne son point de vue, dans une seconde par­tie, par le biais du jour­nal de Guillaume, par les confes­sions d’Olga, l’auteur apporte une autre vision de cer­tains évé­ne­ments, une com­plé­men­ta­rité attrayante.

Entre­cou­pant son récit, il fait des apar­tés don­nant un ton vivant, presque une nar­ra­tion vocale avec toutes les déper­di­tions du lan­gage parlé. Il fait preuve de verve, de drô­le­rie, donne un ton léger pour racon­ter avec une écri­ture tonique et un voca­bu­laire qui, selon les situa­tions, les moments, les dia­logues peut être som­maire mais la plu­part du temps relevé.
Le roman­cier fait trans­pa­raître son inté­rêt pour les ani­maux. Dans Loups soli­taires (Métai­lié – 2017) il décri­vait l’attachement que les poules (des gal­li­na­cées… qu’alliez-vous pen­ser ?) peuvent avoir vis-à-vis de ceux qui les côtoient, les nour­rissent. Ici, il évoque la com­pa­gnie de Rétive, une chatte (la femelle du chat) dont il mesure, avec tris­tesse, l’écart en espé­rance de vie.

Conté à la pre­mière per­sonne avec un pro­ta­go­niste écri­vant des polars, ayant l’âge auto­ri­sant une par­ti­ci­pa­tion aux évé­ne­ments socié­taux décrits, ce livre prend des allures d’autofiction, de récit mas­quant à peine le véri­table nar­ra­teur. Cette hypo­thèse est récu­sée dans une note finale expli­ci­tant des sources.
Mal­donnes offre l’occasion de revivre une période de fortes muta­tions à tra­vers un polar à l’intrigue astu­cieu­se­ment ordon­née, conté avec verve et humour. Un régal !

serge per­raud

Serge Qua­drup­pani, Mal­donnes, Édi­tions Métai­lié, coll. “Noir”, mai 2021, 304 p. – 20,00 €.

 

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Filed under Pôle noir / Thriller

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