La victoire est-elle une chimère ?
Que signifie gagner une guerre dans l’Histoire ? C’est la question fondamentale que se pose l’auteur. À partir des axiomes tels que Victoire où est ta défaite ?, ou Défaite où est ta victoire ?, il examine la réalité depuis les origines de l’humanité jusqu’à nos jours avec les conflits les plus récents.
C’est avec Achille, Ulysse et Hector, dans une série d’échanges qui va servir de fil rouge, que l’essayiste mène un travail d’approche, de synthèse, une réflexion structurée en quatre actes sur ce que signifie gagner une guerre, sur les ambiguïtés que représente la victoire.
Ces héros mythologiques se retrouvent entraînés dans une guerre sans l’avoir voulu. Le premier agit par vengeance contre un meurtrier, le second par alliance et le troisième par devoir de protection. Par ailleurs, ils représentent, à leur manière, la force, la ruse et l’humilité.
Après une introduction éclairante, le livre s’ouvre sur une première partie fort détaillée où l’auteur retrace l’évolution du concept de victoire en cinq étapes. Il part des origines de l’Humanité jusqu’en 476, date de l’abdication, le 4 septembre, de Romulus Augustule, qui marque la chute de l’Empire romain d’Occident. Dans cette phase, il décrit le processus de formation d’une roue de la victoire qu’il compose de six éléments représentant six formes de dominations. Puis, il étudie la notion de victoire vue à l’aune du Moyen Âge, de sa structuration du Ve au XVe siècle.
C’est ensuite une étape d’intégration comprenant des dynamiques de sécurisation, d’étatisation et d’expansion qui se déroule du XVe siècle jusqu’à 1648, année qui marque la fin de la très sanglante guerre de Trente Ans et, également, un acte de naissance d’un ordre européen. C’est alors la prédominance d’une Europe westphalienne qui va imposer sa domination jusqu’en 1919. Et c’est un nouveau siècle de guerres qui s’ouvre à partir de 1919, loin de l’assertion selon laquelle celle de 14–18 sera la Der des Ders.
Dans une seconde partie, Gaïdz Minassian propose, autour de ce qu’il nomme la Pyramide de la victoire, une étude érudite amenant à définir quatre paradigmes de la victoire. Il explicite sa façon d’appréhender les choses, définit un modèle cohérent qui repose sur un fondement défini pour une gestion de crises de basse intensité, de ces guerres sans fin, la gestion de crises de haute intensité et leur sortie.
Puis, dans Impossible et impuissante victoire l’essayiste s’interroge et interroge son lecteur sur l’entêtement de chefs militaires, de responsables politiques, sur leur enserrement dans une vision de la victoire, victoire impossible, victoire impuissante à résoudre les causses de conflits.
Il clôt son étude par une quatrième partie qu’il intitule : Pour un monde hectorien afin de penser la victoire comme une norme d’humilité, de post-conflit, comme une équation de vie. Il démontre que la plus efficace des manières de gagner une guerre, aujourd’hui, consiste d’abord à renoncer à la puissance et à la ruse pour endosser, à l’image d’Hector, une éthique d’humilité et d’humanité.
L’auteur s’attache à définir, comparer, synthétiser les notions de guerre, de victoire, de défaite. Mais, cet ouvrage n’aborde absolument pas le Comment gagner une guerre. Le propos n’entre pas dans la catégorie des manuels stratégiques ni, à contrario, non plus dans le défaitisme, le pacifisme ou l’auto-culpabilisation.
Avec Les sentiers de la victoire, Gaïdz Minassian signe un livre ambitieux, original, extrêmement riche en idées, appelé sans doute, à devenir un incontournable des études sur la guerre et sur la paix.
serge perraud
Gaïdz Minassian, Les sentiers de la victoire — Peut-on encore gagner une guerre ?, Passés/Composés – Humensis, septembre 2020, 720 p. – 27,00 €.